16 au 30 septembre 2008

Désormais, des extraits, portant particulièrement sur des sujets politiques du bloc-notes de Paul-Marie Coûteaux figureront sur le blog du RIF « Le Quotidien de Babylone », actualisé plusieurs fois par semaine. Rappelons que ce bloc-notes est aussi consultable sur le site « www. pmcouteaux.org » et que les extraits relatifs aux affaires européennes paraissent dans le mensuel « L'Indépendance ».  

 

 

Mardi 30 septembre, Mirebeau

 

Ecouter France Culture, comme je le fais beaucoup (beaucoup trop) ces jours-ci, pensant pouvoir ainsi, grâce à la radio, et celle ci en particulier, me dispenser de m’absorber chaque jour dans la lecture des journaux, n’en est pas moins un effort épuisant: tout à l‘heure, un de ces innombrables penseurs américains dont la chaîne de service public  nous abreuve (n’y a-t-il donc pas d’intellectuels en Afrique, au Japon, dans le monde arabe, en Russie, en Inde ?), un certain Kagan je crois, déclarait exactement ceci : « Nous ne pensions pas que le retour de la démocratie en Russie serait si court, et qu’elle reviendrait si vite à l’autocratie ». Or, ce monsieur est présenté comme un soutien de Georges Bush, président dont on nous assure de tous cotés qu’il n’est soutenu que par un petit tiers de citoyens américains, au point que le candidat de son parti prend soin de se démarquer de lui et de sa politique, alors que le couple Poutine-Medvedev est plébiscité par son peuple, bien au delà des deux tiers : mais ce sont eux les autocrates, et les haut-parleurs de Bush les démocrates ! Naturellement, le valet de service de la soit disant "France-Culture" n’a rien objecté, comme si tout cela allait de soi… C’est la Pravda en permanence.

 

 

Lundi  29 septembre, Mirebeau

 

Hier soir, raccompagnant E. à la gare de Chatellerault et revenant dans une nuit absolument noire, je me désolais une fois de plus au spectacle des villages morts. Tout à coup, mes phares illuminent un sanglier qui traverse la route sans se presser, puis un autre, qui passe fort près du chassis, me semble-t-il. Je n’ai pas même ralenti, enchanté soudain par le rappel de l’autre monde, du monde permanent, qui veille. Joie profonde : vivre à la campagne.

 

 

Vendredi  26 septembre

 

« Etre libéral est le contraire d’être moderniste », écrit Péguy dans « l’Argent ». Ce qu’il est convenu d’appeler  « la crise financière » n’est pas une crise du libéralisme, mais d’une « modernité » qui a tout misé sur les logiques économiques au détriment de l’autonomie du politique, premier pilier de la tradition libérale française. La désertion de toute forme de politique, quelle qu’elle soit, n’a rien de libéral : elle est libertaire ; conforme à la « génération 68 » ; elle refuse toute logique politique, et ses fondements, l’autorité de l’Etat, l’indépendance de la nation, la pérennité de la civilisation, en un mot la souveraineté. L’impensé politique moderniste, dénommé « gouvernance » est en réalité le refus de gouverner, ce faux gouvernement à la petite semaine, à la va-comme-je-te-pousse qui aboutit à détruire lentement l’Etat sous l’inflation de normes juridiques, l’enchevêtrement de personnes publiques, l’endettement généralisé (des Etats, des collectivités publiques, des entreprises, des ménages), toutes choses qui devraient interdire au bon sens de nommer « libéralisme » ce qui n’est qu’une absence de véritable gouvernement.

 

 

Jeudi 25 septembre, Paris

 

Ai reçu hier dans mon bureau de Bruxelles, tandis que je filais à la gare pour mon « libre journal de la nuit » de Courtoisie, un coup de téléphone inopiné d’une aimable dame s’étonnant de mon silence sur les « évènements actuels » ; et je trouve de multiples messages de même sens, arrivant à Courtoisie peu après, dans ma boite aux lettres (une de plus). « Parlez donc, tout nous donne raison ! ». Croit-on qu'il suffise d'appuyer sur un bouton pour avoir droit à la parole ? Et justement parce que nous avons raison ...

 

            Une consolation : le merveilleux Christian Petitfils venu nous parler au Libre journal de la nuit, de son Louis XIII ; l’histoire, éternelle consolation. Lui, d’ailleurs assez calme et confiant : on en a vu d’autres. Que n’ai-je été historien ? Heureux hommes.…

 

 

Mercredi 24 septembre, Bruxelles

 

La « crise » se précise ; précise, ce n’est d’ailleurs pas le mot, tant elle est distincte et multiforme : bancaire, industrielle, commerciale, à quoi s’ajoute sans doute la crise majeure, celle du progrès lui même.

 

D’abord la crise bancaire, due, davantage qu'aux subprimes au déchainement du crédit depuis la fin des années 80 (ou depuis les années 70, et la fin de la convertibilité du dollar en or ?), en sorte que, de bulle en bulle, les divers types de « valeurs » en circulation ne sont plus gagées sur une richesse véritable que pour 5 à 8%, selon les estimations. Que ce château de cartes (« commerce de promesses » comme dit Régis Debray dans le dernier numéro de « Medium ») en vienne à s’écrouler n’étonne que les esprits détachés de toute réalité – les hallucinés du monde virtuel, dont on vit un touchant exemplaire, en ouverture de l’année, avec le personnage Kerviel. (Soit dit entre parenthèses, ceci confirme ce que je pressens de tous côtés : que l’indifférence de mes contemporains pour la vérité se mue en indifférence pour la réalité elle-même).

 

Ensuite la crise économique : voici les Etats-Unis et l’Europe en dessous du 1% de croissance annuelle. Mais ce phénomène n’est pas mondial ; de très grandes puissances sont au delà de 5% : Chine, Russie, Inde, et de nombreux « pays émergents ».  Il n’y a là que le fruit de la désindustrialisation européenne, en partie due à l’interdiction par la Kommission européenne de toute politique industrielle, et, pour une partie plus grande encore, par l’absolu libre-échange, ou bien il faudrait baisser les salaires et abandonner l’essentiel des protections sociales, ce qui n’est guère pensable ; elle est due aussi aux taux d’intérêts maintenus élevés par la Banque centrale européenne : mais sur ce point, je ne blâmerais pas Jean-Claude Trichet, en cela bon produit de l’école française d’administration, qui a résisté aux pressions stupides (dont celle de plusieurs de mes amis) pour les faire baisser, ce qui eût rendu encore plus aisé le crédit, et plus monstrueux les échafaudages de faux argent : en quoi le second aspect de « la crise » est rendu plus grave par le premier, toute relance étant impossible.

 

En troisième lieu, la crise commerciale. Depuis quelques mois, le volume des échanges commerciaux diminue, les protections se renforcent et il n’est pas jusqu’au renchérissement du prix du pétrole depuis un an, bien qu’il semble baisser ces derniers jours, qui ne contribue à ralentir les échanges, supprimant peu à peu le nerf du commerce mondial, le très bas, (beaucoup trop bas) coût des transports, maritimes ou aériens. L’échec du « Cycle de Doha », consommé en juillet dernier est un bon symptôme de la ‘fin de la globalisation » qu’annonça voici quatre ans l’excellent penseur canadien John Saul, (à qui je m’étonne que l’on donne si peu la parole). En somme tout concourt à dévaluer la prime au telos, prime au lointain ou téléphilie, qui est le grand dogme de la pensée unique. L’économie de proximité, élément de toute solution à l’actuelle panade : la proximité n’est d‘ailleurs rien d’autre qu’une figure du réel …

 

Enfin, crise du progrès ; On a trop peu écrit  dans le sillage de Rouvillois et Taguieff, sur les limites de l’illusion progressiste, qui a saisi le monde depuis « le stupide XVIIIème siècle ». Le progrès politique, puis le progrès social puis le progrès technique, eux au moins, ont embrasé l’humanité, dévaluant la tradition, la contemplation, la sagesse, l’honneur, la fidélité, le Temps lui-même, au bénéfice d’un homme unidimensionnel qui nie presque tout de l'humanité de l'homme. La mystification progressiste a trouvé une première digue, le retour au réel écologique. Mais il y a meilleure digue : les innovations techniques n’émerveillent plus autant que l’avion, le téléphone, l’automobile, la télévision, le magnétoscope, le caméscope, les robots électroménagers, l’informatique, la télématique, internet,  et autres joujous ont, décennie, après décennie, embrasé le XXème siècle. Les jouets deviennent ennuyeux, voire nocifs et même dangereux : sans doute la plus grande promesse des temps à venir : lentement le monde moderne est déjà un monde ancien ; il est, en cela, bien plus qu’en « crise »…

 

 

Mardi 23 septembre, Bruxelles

 

Pour la seconde fois, une semaine dite « de session plénière » a lieu à Bruxelles, en effet transformée en ruche. Du coup l’accès des députés à l’hémicycle est rendu encore plus compliqué qu’il ne l’est à Strasbourg par une nuée sans égal de distributeurs de tracts. Lobbies, grande spécialité bruxelloise. De tous côtés les grandes entreprises, syndicats, associations de tous poils distribuent « informations et pétitions » dans l’incroyable espoir d’influencer les votes. Hier dans la soirée les couloirs du Parlement accueillaient des chapelets de coquetèles où l’on proposait force libations aux élus qui acceptaient de s’arrêter quelques minutes et d’écouter les argumentaires des uns et des autres. Les « lobbyistes » les mieux organisés ou les plus riches distribuent dans nos boites aux lettres, ou devant la porte de nos bureaux des DVD de la plus basse propagande. Tout cela suppose que les députés européens sont démunis d’informations propres et surtout dépourvus de toute sagesse ; ce cirque ne ressemble d’ailleurs plus à une assemblée parlementaire, qui en effet devrait réunir d’abord des esprits sages, capables de délibérer à l'écart…

 

            Après les votes, je joue le rôle d'"orateur invité" de « SOS démocratie », intergroupe qui réunit tous les mois les députés « eurosceptiques », qu’ils soient membres du groupe Indépendance et Démocratie ou de groupes plus composites (PPE, PSE, UEN, non inscrits.... Nous organisons peu à peu les prochaines élections européennes à une échelle bien plus large que nous ne l’avions fait lors des précédentes consultations. Mais il faut aussi organiser la riposte au coup par coup : une nouvelle lubie des fédéralistes voudrait nous obliger, à l’ouverture de chaque session, à chanter l’hymne européen. Que faire ? Un britannique propose que, à la place, nous entonnions ... La Marseillaise ! Revivifié par le premier non qui venait en France, l’hymne républicain retrouverait donc les couleurs de la résistance ! A bien y réfléchir, c’est assez émouvant.

 

 

Lundi 22 septembre, train Paris-Bruxelles

 

Relis une nouvelle fois le discours de Benoît XVI aux Bernardins, et songe à cette cérémonie qui m’aura tant marqué – je ne sais pourquoi, la revoyant, je songe aussitôt au blanc impeccable, littéralement irradiant  de sa robe, et à ses petites chaussures rouges. Au regard de l'inélégance de  l’athéïsme d’Etat, la religion catholique, si profondément baroque, aurait dû garder cette arme de choix pour toucher les coeurs : l'émotion esthétique …

 

 

Dimanche 21 septembre, Paris

 

Joie de retrouver les militants du MPF pour une « Université de rentrée » fort réussie. Beaucoup de temps forts, et d’abord la conférence que donne en ouverture le sémillant Fabrice Hadjadj. Un peu thomiste à mon goût  - et d’ailleurs il me reproche ensuite, à table, l’essentialisation de la France que j’ai « fabriquée » dans mon De Gaulle philosophe. Platon n’est pas sa tasse de thé, pardi ! Curieux comme les Chrétiens restent thomistes ... Beaucoup d’enthousiasme aussi quand apparaît sur la scène le héros du Non en Irlande Declan Ganley (Le seul nom  du  parti qu’il veut étendre à toute l’Europe est séduisant : Libertas).

 

Hier au soir, m’échappe pour rejoindre, à « la petite Malmaison » de Rueil, la soirée que donne Zemmour pour son cinquantième anniversaire. Des gardes impériaux grand genre  conduisent les invités à travers jardins et salons éclairés de cierges. Zemmour toujours aussi touchant de force et de sincérité. M’apercevant, Henri Guaino me fait les gros yeux, puis me dit vouloir passer sur les mots un peu « à cheval » que j’eus l’an dernier à son égard dans Paris-Match – plus exactement à son encontre, car décidemment, je n’aime pas le rôle d’habilleur qu’il joue, quand bien même atteindrait-il à la haute couture… Il me présente sa nouvelle femme, rayonnante – pourquoi me fait-elle penser aux « Jeux d’eau » de Ravel ? Après quoi, longue conversation : hélas, nous tombons d’accord sur tout. Hélas, hélas, hélas !

 

 

Samedi 20 septembre, Paris

 

Curieux : il y a cinq pays en Europe qui font nettement mieux que les autres en fait de croissance, ou de moindre décroissance démographique : la France d’abord, qui tient la corde avec un taux de fécondité de 2 (record d’Europe, certes encore insuffisant ; puis viennent l’Irlande (1,93), le Danemark et la Grande-Bretagne (1,83), enfin les Pays-Bas (1,71) ; soit les cinq pays les plus eurosceptiques  d’Europe de l’Ouest. Inversement, l’Allemagne est à 1,32, l’Autriche, la Grèce, l’Espagne, l’Italie, le Portugal entre 1,35 et 1,39. En somme, il y aurait un lien entre le refus de la supranationalité et la vitalité démographique, entre l’esprit d’indépendance et la confiance en l’avenir. Lien fort logique, finalement …


Vendredi 19 septembre, Paris

 

Dans le métro, cette affiche : « Cessez de massacrer l’anglais ! » : nulle association pour la défense du français n’aurait les moyens ou simplement l’audace d’une pareille admonestation. Regarde les voyageurs de la ligne 14, gêné par le grésillement saccadé de deux walkmans – sur l’un et l’autre même tintamarre. Sûr que, de ceux qui ne parlent pas anglais,  il n’en est pas un qui ne le regrette. Parlent « anglais », chantent américain, « matent » des films américains, suivent le foutebole, adulent des tapeurs de ballon qui ne sont en général que de sinistres mercenaires, ne ratent pas les jeux à la télé, n’ont que ces bêtises pour conversation, et sans doute préoccupation, lisent l’Equipe (depuis des décennies, quand je vois dans le métro ou le train quelqu’un qui lit ce journal, j’ai envie de lui  donner une paire de gifles  et de lui dire : « occupez vous donc un peu des choses sérieuses ! »), ils font un peu de fric, chichement le plus souvent ;votent toujours pour les mêmes gros partis dont ils admettent pourtant qu'ils ont jeté la France au caniveau. A part çà, veulent rien savoir : France, Etat, Politique, tout pourris. Ils ont accepté d’être esclaves, ils se sont délibérément transformés en esclaves, et maintenant ils s’étonnent d’être pauvres !

 

Puis, ma colère retombe : en 2003, ils ont tout de même refusé massivement de cautionner l’invasion de l’Irak par les armées américano-européennes ; en 2005, ils ont repoussé la supranationalité bruxelloise… Mais comment réveiller durablement « les chiens endormis », comme Willy Brandt nommait aimablement les Français (« Schlafende Hunde ») ? Dans le métro, ligne 4, on ne voit vraiment plus.

Mercredi 17 septembre, Bruxelles

 

A l’hôtel Rembrandt; la  lecture des journaux se prolonge tard dans la nuit ; une fois de plus, bon choix de musique sur la chaîne 3, heureux mélange belge de France musique et France culture.

 

Il n’y avait plus, hier, dans le Thalys, en fait de quotidien que Libération. Je ne l’avais pas ouvert depuis longtemps et le trouve incroyablement riche. En pages 2 et 3 un journaliste malicieux et patient oppose les déclarations d’une dizaine de personnalités sur la crise des subprimes il y a quelques mois à celles qu’ils font ces jours-ci. Par exemple Dominique Strauss-Kahn parlait en avril dernier de «  ralentissement important mais pas dramatique ». Et voila qu’avant-hier il déclare que la crise financière est du « jamais vu, et d’autant plus importante qu’elle est partie du système. »   Alan Greenspan qui déclarait en avril 2005 que «  les subprimes profitent aux consommateurs » (phrase qui signe le crime puisque c’était bien lui qui tenait la barre de la réserve fédérale américaine de 1987 à 2006) déclare désormais que « la crise des subprimes est un évènement qui ne se produit qu’une fois par siècle, et qu’elle est la plus grave depuis 1929 ». Henry Paulson, secrétaire d’Etat au Trésor américain s’inquiétait l’an dernier que le début de la crise donne à certains la tentation de «  sur réagir par une régulation excessive ». Et le voila plaidant devant médias et Congrès  pour  la nationalisation de banques et de compagnies d’assurance. En un mot, tous ces messieurs ne savent pas ce qu’ils disent, finalement disent exactement n’importe quoi. Et qu’est-ce que l’Etat, légitime, souverain et rationnel que décrivait Weber si ce n’est un instrument de raison dans un monde qui n’en a plus ?


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