1 au 15 novembre 2008

Dimanche 2 novembre ; jour des morts ;  Plouescat-Moysan,, aux confins des Côtes du Nord et du Finistère. Arrivés hier au soir, par fort mauvais temps, chez S. et M., des amis de E., ravis d’avoir donné naissance à un petite fille il a deux mois, et tout à elle consacrés. Nous avons fait pour venir, cet après-midi, une longue route en voiture depuis Mirebeau, à travers la Bretagne que je n’avais pas vue depuis trop longtemps, et dont je veux reparler tant elle me charme.

 En chemin, courte halte à Saint Brieuc, que la pluie gache. Et s’il n’y avait que la pluie ! Toutes les villes que nous avons traversées sont enserrées dans un épouvantable amas de hangars, entrepos, entreprises éphémères, magasins en tôle et matières plastiques, elles sont comme recouvertes et vaincues d’avance par les divers fatras de l’ère commerciale qui ne fait que passer, et laisse partout d’horribles traces, matières informes et ferrailles aussi hideuses que sont devenus, le long des plages, les lais et relais de la mer. Que va laisser sur la terre, en refluant, le monde industriel et commercial ?, il y a de quoi en frémir d’avance. Il se voit, tant de friches désolées, partout… Quant à nos belles villes, on croit, en les abordant, entendre gémir leurs fantômes, leurs saints et leurs trésor, nous prévenant de l’autre monde, dans un cliquetis de chaînes: « Nous étions le monde monde ancien que vous allez voir, mais la laideur nous tient désormais enfermés, nous sommes dans ses cachots, au fond du centre des villes, et vous ne nous trouverez peut-être plus ». Et, de fait, plus aucune ville de France n’étant encore dans son écrin, on ne rencontre plus jamais en elle ce qu’on en attendait… De Saint- Brieuc, nous ne trouvons même pas un vrai « centre », et, après une halte sur un promontoire, nous repartons déçus. Sans doute, trop vite découragés par la pluie, n’avons-nous pas assez cherché, dans ces successions de laideurs ou de médiocrités, ce qui pouvait encore être beau…

         Municipale, cantonale, départementale, régionale, nationale, peu importe, je rêve d’une collectivité qui se déciderait à faire de la beauté publique ou du moins de la préservation des sites, urbains, ruraux ou suburbains une préoccuation à part entière : plus aucun permis de construire, dans aucune zone que ce soit, à ce qui ne respecte pas quelques normes esthétiques, et ne se conforme pas à un style régional ou local; vaste plan de ramassage des friches et déchets industriels ou commerciaux, rassemblés en un lieu et détruits par un feu sacrificiel qui rétablirait les hiérarchies – qui, comme disent les Belges, remettrait l’église, c’est à dire la beauté, au centre du village. Cette action publique est parfaitement possible, si du moins on ne cède pas aux injonctions de la « concurrence internationale ». Mais qui l’oserait ? La beauté fut longtemps un thème de la puissance : pour l’Eglise comme pour la monarchie, la magnificence fut un moyen d’impressionner, de « faire autorité » ; mais elle n’est plus aujourd’hui, décidemment,  un thème politique….

 23 heures. -« Faire autorité », écrivai-je : c’est la question du jour, omniprésente. Au fond, il suffirait pour sortir de la crise d’exercer sans complexe le  pouvoir politique (la nécessité s’en impose d’ailleurs toute seule), ce qui suppose de le restaurer, car il est en miettes ; pour commencer, restaurer sa majesté, sa solennité, sa beauté ; puis, sortir du slogan de 68 « assez d’actes, des mots », qui définit aujourd’hui l’activité du sommet de l’Etat ; ensuite, quitter la pose d’observateur et la culture de la concertation ministérielle, interministérielle, internationale, européenne, les discours et bavardages qui masquent si bien, hélas !, l’incroyable impuissance de la « puissance publique », et agir sans crainte de troubler ou déplaire…

 (à ce sujet : j’ai trouvé bien dérisoire, l’autre jour, l’appel du petit président pour « que soient jugés les coupables de la crise », comme si les responsables des équilibres du monde étaient les financiers ! Leur seul crime est de faire de la finance, comme les jardiniers font le jardin. Les seuls coupables, M. de Villiers l’a seul relevé, sont les politiques qui ont lâché les manettes entre les mains des oligarques de tous poils, épousant leur logique, leurs mots, leurs slogans, et bien entendu leurs intérêts. Coupables ? Personne ne l’est davantage que ces politiques qui ne savent plus que toute politique s’oppose par nature aux puissances privées. Problème du quinquennat, et de l’époque, aperçu le jour où M. Sarkozy partit en villégiature sur le yacht de M. Bolloré : au vu de tous, métaphoriquement, il lui donnait la barre, il se mettait entre ses mains. La confusion se prolongea sous mille formes – récemment, lors d’une réception à l’Elysée, trois « grands de la finance » se virent attribués des fauteuils, présidents de Chambre et ministres étant placés derrière, sur de simples chaises… Au fond, le seul problème de M. Sarkozy est de ne pas très bien savoir ce qu’est la politique, qu’il confond avec un univers d’apparences,  à quoi en effet il la réduit. Elle est pourtant une chose noble, et dramatique (en quoi, elle peut faire peur), le seul moyen d’éviter que la seule logique de la puissance envahisse le monde et l’ensauvage. Voie politique, voie/voix française contre les deux voies folles qui embrasent la planète, le « tout sacré » ou « le tout marché ». Il s’est trouvé un néo-conservateur, Alan Meltzer, pour qualifier de « sale idée française » le plan Paulson ; la « sale idée française » c’est le primat de l’Etat, et c’est bien notre dernier salut.)

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 Lundi 3 novembre ; Plouegat-Meyssan. - Hier, deux promenades entrecoupées d’un plantureux repas de fruits de mer : la première, côté Finistère, nous conduit, vers midi, après le marché de Plestin, sur les hauteurs de Loquirec, le long de la mer (belles villas en pierres de granit, qui, comme toujours, font rêver d’une autre vie…). La seconde, en fin d'après-midi, nous ramène plus à l’Est, « la côte de granit rose » ; vers cinq heures du soir, halte mémorable sur la plage de Trégastel, tout à coup éclairée par un tout petit soleil qui, entre les blocs de granit rose, d’une douceur extraordinaire, fait luire la mer, au large et sur les récifs, comme luit plus encore son bleu de jade, dans les anses tranquilles à l’abri des grosses pierres orangées et rondes. Je pense à Nicolas de Staël. Contraste, il soufle sur cette harmonie un vent violent qui épuise nos pas. Nous poussons jusqu’à la villa qui, sur son promontoire, exposée à tous les vents et tous les ressacs, s’avance seule vers la mer : elle est habitée ; images d’une vie entièrement romanesque : une robuste maison prise dans le vent et la mer.

          Arrivons à Perros-Guirec peu après six heures, tandis que la lumière chute brutalement. Du coup, rues désertes ; la ville parait magnifique ; nous tentons de la visiter dans le noir . Après avoir fait le tour, en la touchant, d’une petite église de granit rose et gris ; nous décidons de rentrer. Sur la route déserte, extraordinaire densité de la nuit : même depuis la terre, il semble qu’il n’y ait point d’autres feux que les phares – lesquels, nous dit-on, sont d’ailleurs en déshérence… (E., d’ailleurs, a l’idée d’aller passer une semaine dans un phare.)

 Emmanuel, qui n’est pas breton (et a perdu pour cela son emploi…) pose sur les gens du cru un regard qui ne l’est pas moins ; il insiste sur l’opposition entre deux Bretagnes, celle de la Côte et celle de l’intérieur  - opposition ancienne, certes, mais elle semble croître et embellir. Ainsi, dans le Finistère, le festival des Vieilles Charrues de Carhaix fut lancé comme une réplique au festival des Vieux gréments de Brest - riposte aussitôt soutenue par les paysans de l’intérieur contre « ceux de la côte » qui, avec la complicité des touristes, accaparent à leurs yeux l’image de la Bretagne –et les subventions avec elle. Il y a deux mondes, l’intérieur et le côtier, qui hument deux airs fort différents – le premier est réputé chargé d’odeurs fortes, accrues par la pollution, alors que la seconde sent la fraîcheur et le grand large ; complexes nombreux sur ce thème. Voici donc que s’accentue la vielle opposition, à laquelle s’ajoute un net contraste entre la côte du Nord et du Finistère, et celle du Sud –du Morbihan, et, plus ou moins, de la Loire Atlantique. Confirmation de ce que je vois par ailleurs dans mes pérégrinations belges : plus une entité politique est petite, plus elle se divise. Ce n’est d’ailleurs un paradoxe que pour qui ne refléchit pas : si la politique est bien la participation au monde en même temps qu’un discours d’appartenance, il est normal celui-ci se survolte à mesure que celle-ci s’étiole…

 18h – retour à Mirebeau, après une mauvaise route sous une pluie fine et sombre, presque noire. Omniprésente désolation des campagnes ;  je vois bien que la civilisation quitte nos rivages – et que déjà nos rivages ne sont plus tout à fait les nôtres… 

                                                             *

 Mardi 4 novembre ; Mirebeau. - Grand ciel bleu, tout à coup, ce matin, et grande lumière; nous émergeons des deux journées bretonnes comme on revient des Ténèbres…

             « Plusieurs Etats sont en balance » entend-on toute la journée à propos des élections américaines. S’il est un Etat qui ne balance pas, c’est bien la France ; à en croire tous les médias et les tuyaux imaginables, elle vote Obama à l’unanimité, ou presque ; très peu osent préférer Mac Cain, personne n’ayant bien entendu le droit de s’abstenir. Or, il finit par devenir nécessaire de rappeler que cet Etat de l’empire n’a pas le droit de vote. Ainsi, de deux choses l’une : soit cette élection revêt pour le proche avenir de la France et des Français une grande importance, justifiant l’actuel tintouin médiatique, et, comme nous n’avons pas le droit d’y prendre part, c’est un aveu d’aliénation. Soit « le choix du 4 novembre » n’a pour nous guère d’importance, et cette affaire, qui certes peut avoir quelques répercussions sur deux ou trois dossiers internationaux, serait alors en bonne part du spectacle -autre forme d’alinéation...

             Les deux hypothèses recouvrent une part de réalité, qu’il faut oser dire : ces « 4 novembre » sont chaque fois une illustration de notre aliénation. Mais j’opterais plutôt pour la seconde, celle du spectacle. Etant donné que le fameux Obama fait une campagne « au centre du centre », comme dit ce matin une « observatrice » de France Culture, et que l’on nous a répété depuis des lunes que toute l’habileté de Mac Cain avait été, pour s’imposer dans le camp républicain, de « faire la course au centre » ; étant donné aussi que les principales divergences entre les candidats portent d’une part sur le taux d’imposition et le degré de politique sociale (dans l’un et l’autre cas, on aura un entre-deux, dans les limites qu’impose la situation fnancière des Etats-Unis), d’autre part sur le plus ou moins grand engagement/dégagement en Irak et Afghanistan et que, dans les deux cas, il me paraît certain que Washington devra se replier assez vite, comme les rodomontades contre l’Iran ont montré que, démocrate ou républiciane, l’administration états-unienne n’était plus ce qu’elle était jadis; étant donné, donc, les très grandes contraintes qui pèsent sur la politique de l’Empire refluant, dont la récurrente affaire iranienne a clairement montré les limites, ce combat titanesque entre deux extrémistes du centre se réduit à très peu de chose. Sauf une : la couleur, non du parti, mais de la peau de l’élu. Le débat n’est plus entre le rouge républicain ou le bleu démocrate, mais entre le blanc ou le noir.

             Là, il y a du spectacle, peut-être même un enjeu - que personne n’ose exprimer. Non pas la place faite aux personnes de peau noire dans  la dite « société occidentale » comme on dit bien maladroitement quand on n’ose pas parler de « monde blanc » : cette place est déja très grande (acteurs, présentateurs, hommes politiques de premier plan l’ont illustrée depuis longtemps) ; il s’agit du degré d’avancement de l’Empire, comme celui de Rome se mesurait à ce que les Empereurs venaient de ses provinces les plus lointaines –si les premiers Auguste étaient tous nés en Italie, dès le IIème siècle les Empereurs nés outre-mer allaient se multiplier : en 147 le futur Claudius Albinus, africain romanisé, naissait près de l’actuelle Sousse, comme Septime Sévère naquit dans l’actuelle Lybie ; le phénomène de revanche de la périphérie sur le centre s’accéléra tout au long de la décadence romaine :  Caracalla était de père berbère et de mère syrienne ; en Syrie naquirent Héliogabale et Philippe l’Arabe, en Phénicie Sévère Alexandre, etc…  Au début, plus on venait de la périphérie, plus  on se voulait Romain – il est nécessaire qu’il en soit ainsi, comme il est tout a fait normal que les Etats-Unis, qui se sont toujours voulus multiraciaux, portent à leur tête un président dit « de couleur »: ce ne sont là que les évolutions, et les basculements normaux du monde.

             En somme, blanc ou noir – et non plus, ou si peu, rouge ou bleu, il ne s’agit plus de politique, mais d’autre chose : de l’évolution, ou de l’involution normale d’un Empire. Dans tous les cas, évidemment, il y aurait lieu de nous tenir à l’écart, nous autres Français, autant que faire se peut, spirituellement et politiquement…

                                                            *

 Mercredi 5 novembre 2008 ; Paris.- Aux Etats-Unis (cessons de dire l’Amérique, l’immense majorité des Américains n’étant pas citoyens états-uniens) Barack Obama est largement élu : 52/47, avec une forte participation qui doit donner à Mac Cain un nombre de voix supérieur à ce qu’ont obtenu tous les présidents élus : signe d’une mobilisation qui peut annoncer bien des tensions à venir..

             Il est cependant fort inquiétant que, dans la majorité des commentaires entendus depuis ce matin, du moins sur les radios du service pulic que j’écoute, mais elles donnent le ton, la couleur de la peau de l’élu l’emporte sur toute autre considération : quand le président du CRAN (Conseil représentatif des Associations Noires) s’exclame que Barak Obama est désormais « le président de tous les Noirs de France », il est dans son rôle, délirant –car c’est affirmer une solidarité raciale par dessus toute solidarité politique, sorte de racisme à rebours dont est coutumière une association à laquelle il est regrettable que les radios donnent tant de place (car je veux croire que, « représentative », elle ne l’est nullement), et qu’il faudrait interdire comme l’est toute association ouvertement raciste. Mais lorsque Mme Rama Yade, omniprésente sur les ondes et les écrans (et cette omniprésence est elle-même une facheuse indication), s’exclame que, « aujourd’hui, on a envie d’être Américain », elle fait elle aussi prévaloir sur l‘appartenance à la nation française un racialisme qui est aux antipodes de tous les points cardinaux de la République, alors même qu’elle est membre de son gouvernement.

             Faut-il rappeler que, pendant plus de vingt ans, en France, le deuxième personnage de l’Etat fut Gaston Monnerville, aussi métis que l’est M. Obama, et que, si par malencontre le général de Gaulle avait succombé à l’un des multiples attentats qui le visèrent au début des années soixante, il fût aussitôt devenu chef de l’Etat sans que personne ne trouve quoi que soit d’extraodinaire ; et de même plusieurs ministres de la Vème république furent Africains, sans que l’on ne s’émeuve -il est vrai que l’on était aux temps où les critères « politiques » n’étaient pas communautaires, tribaux ou raciaux, aux temps où le racialisme états-unien épargnait encore la France. Mais l’est-elle, et n’avons nous pas plutôt affaire, une fois encore, à une intoxication médiatique substituant au logiciel national, aussi dit « logiciel républicain », une lecture rudimentaire du monde –une lecture élémentaire, littéralement a-politique, dont, il n’y a pas si longtemps, la campagne de Mme Royal, principalement fondée sur le fait qu’elle était une femme, à ce titre une compassionnelle parfaite, (une sorte de Madonne, a-t-on dit) a donné une illustration parfaite. Sexe, race, origines de toutes sortes, y compris les « origines sociales », voilà bien ce qui doit composer la nouvelle grille de la politique –grille qui n’est pas politique, qui est celle de la pensée zéro formantée selon les exigences des temps de dictature marchande, lesquels ne souffrent pas de politique sous quelque forme que ce soit, et surtout pas de « res-publica ». Cette grille de substitution est omniprésente, notamment dans les oligarchies supranationales, qui contrôlent la plupart des tuyaux de la communication –à la fois à des fins marchandes immédiates (Bouyghes), mais aussi à des fins de consolidation de la représentation marchande et économiste du monde. Il est remarquable que les passions politiques se soient si promptement reconverties selon ces nouveaux schémas non politiques, que la véritable politique ait été si vite reléguée au second plan, très loin, si loin… le socialisme français en déroute idéologique s’est fort bien saisie de cette bouée de sauvetage, reconverti en une sorte d’universel égalitarisme: c’est lui qui règne dans les médias français, au point que tous les autres partis s’y conformant –un signe l’unanimisme pro-Obama des députés UMP, cette étrange UMP qui se veut de droite mais qui aime tant Zapatero, Blair et Brown et la « gauche américaine ».

             Blanc ou noir ? On touche ces jours-ci, après une longue dérive qui nous y a tant préparé, au point ultra zéro de la politique –et peut-être à sa pulvérisation pure et simple. Derrière l’élection de M. Obama, nul ne veut voir son programme politique –et notamment, pour ce qui nous concerne, son appel au renforcement du dispositif «occidental» en Afghanistan, qui signale un impérialisme pur sucre (et assez aveugle, en l’occurrence), lequel devrait inciter à la prudence nos belles âmes –il est vrai que, aujourd’hui, les belles âmes ont souvent des têtes bien légères.

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           Où allons nous ? Si décidemment la démocratie devait être universelle, et si cette démocratie n’avait plus pour critères de choix que celui des couleurs de la peau, alors il est à craindre que les évolutions du monde, que chérissent tant les dénommés « occidentaux », ne leur soit guère finalement favorables… (une objection : il n’y a pas de « finalement »). 

 Voici, je crois, ce qui se passe : de ce que la politique ait été interdite, il résulta d’abord que les différentes traditions politiques qui ont structuré la vie démocratique, aussi bien celles « de gauche » que celles « de droite » sont peu à peu devenues obsolètes : guère de souveraineté, donc peu de choix authentiquement politiques, donc « obscènes » -hors de la scène du jour.

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 Jeudi 6 novembre 2008. Médecins, commerçants, amis et relations de toutes sortes m’incitent toute la journée à « parler politique », comme ils disent, c’est-à-dire à commenter l’actualité. Je les intrigue assez (« c’est le mot qu’utilise mon dentiste), pour qu’il aient un peu de curiosité. Soit. Mais c’est fatiguant. Aujourd’hui, c’est Obama ; je crois m’en sortir de prompte manière en disant à l’un d’eux, qui me demande « Alors, un Président noir, qu’en pensez-vous ? » : « C’est Caracalla : quand le centre a besoin de la périphérie, c‘est que l’empire ne se porte pas très bien ». Las ! On n’imagine pas combien ce commentaire, un peu éliptyque je le concède, en appelle d’autres – et l’on n’en finit pas…

 De même si, à un voyageur qui me dit tout à trac, dans le Thalys : « Bonjour, figurez-vous que j’ai un problème avec vous, les souverainistes ; je ne veux pas du libéralisme forcené façon Bruxelles, mais je veux bien de l’Europe », et que je réponds au vol : « eh bien ! vos êtes content : avec l’UE, vous avez le « libéralisme forcené » mais vous n’avez pas l’Europe », la conversation s’allonge démesurément – quand nous arrivons à Paris, je crois l’avoir convaincu ; mais tout de même, convaincre les Français un à un, c’est épuisant !

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Vendredi 7 novembre, Mirebeau. - Obama suite : si l’on veut bien définir le racisme comme le fait d’attacher une valeur, une qualité ou un défaut, des droits particuliers, ou des devoirs particuliers, à un individu en raison de son appartenance à telle ou telle race, alors nous sommes, depuis l'élection de M. Obama et les attentes quasiment rédemptrices, pour le monde occidental, qu’elles font naître un peu partout, dans le racisme pur et simple –ou faut-il écrire « le racialisme », mot plus neutre me semble-t-il, et qui permet de dire l’essentiel :  nos anti-racistes sont racialistes…

 

Faut-il jouer ce jeu là ? C’est une grille qui a beaucoup à voir avce l’histoire des Etats-nis, la discrimination, l’évolution naturelle d’un Empire ; jusqu’au triomphe de l’antiracisme, c’est à dire du racialisme, elle était beaucoup moins française :             Faut-il rappeler que, pendant plus de vingt ans, en France, le deuxième personnage de l’Etat fut Gaston Monnerville, aussi métis que l’est M. Obama, et que, si par malencontre le général de Gaulle avait succombé à l’un des multiples attentats qui le visèrent au début des années soicxante, ledit Monnervile fût aussitôt devenu chef de l’Etat sans que personne ne trouve quoi que soit d’extraodinaire ; et de même plusieurs ministres de la Vème république furent Africains ,  sans que l’on ne s’émeuve -il est vrai que l’on était aux temps où les critères « politiques » n’étaient pas communautaires ou raciaux, aux temps où le racialisme états-unien épargnait encore la France. Mais l’est-elle, et n’avons nous pas plutot affaire, une fois encore, à une intoxication médiatique substitutant au logiciel national, aussi dit « logiciel républicain », une lecture rudimentaire du monde –une lecture élémentaire, littéralement a-politique, dont, il n’y a pas si longtemps, la campagne de Mme Royal, principalement fondée sur le fait qu’elle était une femme, à ce titre une compassionnelle parfaite, (une sorte de Madonne, a-t-on dit) a donné une illustration parfaite.

 

Sexe, race, origines de toutes sortes, y compris les « origines sociales », voilà bien ce qui doit composer la nouvelle grille de la politique –grille qui n’est pas politique, qui est celle de la pensée pensée zéro formantée selon les exigences des temps de dictature marchande, lesquels ne souffrent pas de politique sous quelque forme que ce soit, et surtout pas de « res-publica ». Cette grille de substitution est omniprésente, notemment dans les oligarchies supranationales, qui controlent la plupart des tuyaux de la communication –à la fois à des fins marchandes immédiates (Bouyghes), mais aussi à des fins de consolidation de la représentation marchande et économiste du monde. Il est remarquable que les passions politiques se soient si promptement reconverties selon ces nouveaux schémas non politiques, que la vértable politique ait été si vite reléguée au second plan, très loin, si loin… le socialisme français en déroute idéolgique s’est fort bien saisi de cette bouée de sauvetage, reconverti en une sorte d’universel égalitarisme: c’est lui qui règne dans les médias français, au point que tous les autres partis s’y conforment –un signe l’unanimisme pro-Obama des députés UMP, cette étrange UMP qui se veut de droite mais qui aime tant Zapatero, Blair et Brown et la « gauche américaine ».

 

 

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Samedi 8 novembre 2008 ; Mirebeau. – Dernières feuilles sur les arbres. Grand profit à reprendre Hannah Arendt, (les conférences réunies sous le titre « Crise de la Culture ») ; comme il est clair, à réfléchir, que nous sortons de l’hégémonie progressiste !

 

On pourrait dire que, pour le conservateur, le passé paraît plus clair que l’avenir ; pour le progressiste c’est l’inverse : le passé paraît sombre, et l’avenir nécessairement lumineux. Or, c’est cette confiance en l’avenir qui s’estompe depuis quelques années (2001 ?) et ce renversement va produire d’innombrables effets. Le seul probème, c’est qu’il sera d’autant plus douloureux pour nos contemporains que le passé sera inconnu ou méprisé, ou plutôt que ce que l’on appelle couramment la connaissance de l’histoire sera peu partagée, en sorte que l’immense majorité des hommes n’y comprendra goutte –ils s’adapteront moins, souffriront plus, se révolteront plus violemment… Moment que choisit notre inéffable gouvernement, qui est entièrement calé, encore, sur la structure de pensée progresssite, pour supprimer ce qui reste d’enseignement de l’histoire…  

 

 

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Mercredi 12 novembre 2008 ; Bruxelles. – Les choses vont mal au PS, dont le Congrès s’ouvre après demain, et se fermera sans doute dimanche prochain sur un constat objectif de désunion, et les sentiment qu’elle est profonde : conflits de personnes, rassemblements sans base doctrinale, absence totale d’idée neuve : il semble bien qu’il arrive aux « socialistes » ce qu’il est arrivé aux radicaux dans les années 60 et 70, puis aux communistes dans les années 80 et 90 : essoufflement idéologique, dissidences multiples, affaiblissement électoral. En somme, ce sont les trois piliers de la gauche française, le radicalisme, le communisme, le socialisme qui s’effritent -sans doute parce que leur présupposés idéologiques ne parviennent pas à prendre en compte le renversement épistémologique qui s’opère lentement, à l’échelle de décennies, autour de la question du progrès. Les «forces progressistes » ne sont plus en phase avec un monde où le progrès est soit dévalué (progrès technologique, innovation artistique ou littéraire) soit hors d’atteinte (progrès social dans les pays du Nord, développement dans ceux du Sud) ; la rhétorique fondée sur le seul progrès ne marche plus.

 

Evidemment, le renversement de la pensée progressiste redonne lentement la parole aux discours conservateurs, voire traditionnalistes. L’histoire des idées est faite de ces rebonds périodiques. Mais, aujourd’hui, comment saisir intelligement cette balle ?

 

 

                                                *

 

Vendredi 14 novembre. Paris. – Chez moi, tout à l’heure, sympathique réunion de sept jeunes membres du RIF qui entendent prendre en charge une « section jeune » ; elle devrait s’appeler « Jeunes Français pour l’Indépendance ». Nous préparons le lancement mercredi soir, sur une péniche amarrée sous le pont de Tolbiac -victoire de Clovis.. Il sera dit que, au début du XXIème siècle, il se sera trouvé sur les rives de Lutèce des jeunes Français capables de se réunir à l’enseigne de l’Indépendance de la France. Evénement anodin ? peut-être, pour certains ; mais, pour moi, une grande émotion.

 

 

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Samedi 15 novembre. Paris. – Le grand sommet de New-York tant voulu et monté en épingle par M. Sarkozy a accouché d’une souris ; on n’apercoit nul « nouveau Bretton Woods » à l’horizon ; ce gouvernement de grants sommets à grandes moulinettes entre des impuissances  devient vraiment dérisoire –et M. Sarkozy aussi.

 

            Voici, je crois, ce qui se passe : de ce que la politique ait été interdite, il résulta d’abord que les différentes traditions politiques qui ont structuré la vie démocratique, aussi bien celles « de gauche » que celles « de droite » sont peu à peu devenues obsolètes : guère de souveraineté, plus de choix authentiquement politiques ; Ne comptent que des identifiants annexes (origine sociale, couleur de peau, différents arts de la mise en scène médiatique) : ce replis de la politique sur l’élémentaire est la conséquence directe, en même temps que le signe du grand reflux de la politique. Et nous, nous sommes vraiment le parti des politiques –une sorte de comité de défense de la politique, cette denrée devenue si rare…

 

 

                                        

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