1 au 15 décembre 2008

Le 1er décembre 2008, Paris - Madame la Kommissaire à la Concurrence juge que le plan français de sauvetage des banques est attentatoire aux principes « européens », en clair aux principes de la libre-concurrence. Conséquemment, le Président Barroso fait savoir à la France que la Kommission n'accepte pas ce volet, ce volet non plus, de la politique française, et le prie d’y surseoir.

 

 Situation emblématique du bourbier institutionnel où toutes notre politique est prise depuis des années : la Commission de Bruxelles, se trouvant trop dépourvue de toute légitimité, donc de tout instrument d'action d'envergure, est incapable de mener une grande politique, quelle qu'elle soit - d'où son effacement ces dernières semaines, débordée par l’ampleur des réponses que nécessiterait la crise financière. En revanche, il lui est tout à fait possible d'empêcher les Etats d'en avoir une : il suffit d'invoquer un grand principe ou un autre, la libre-concurrence un jour, la libre-circulation des biens et des personnes un autre jour, pour mettre en accusation les Etats qui sortiraient par trop de volontarisme de la « bonne gouvernance ». Ici se lit à merveille une vérité que l’on finira bien par faire comprendre à nos contemporains : la prétendue "Union" n'est pas à proprement parler un gouvernement, mais une machine destinée à empêcher qu’il y en ait un où que ce soit. En d’autres termes, ce qui se perd avec la souveraineté, c'est la politique, la possibilité pour les peuples de mener une politique, quelle qu'elle soit.

 

 

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Mardi 2, Bruxelles. Remettant de l'ordre dans les journaux de novembre, je tombe sur l'incroyable flot de commentaires qu'a charrié voici un mois la victoire de Barrack Obama. "Un président pour le monde" a titré la presse Rothschild (Libération); "Obama a comblé le vide que le monde attendait confusément....." commenta de son côté un grand ponte de la presse du matin ; "The World President" titrait un autre… Je tombe finalement sur l'exquise exclamation de Rama Yade au lendemain de cette grande victoire : "Aujourd'hui on a tous envie d'être américain" ; à bien y regarder, c’est une  déclaration stupéfiante dans la bouche d'un membre du gouvernement français.

 

Or, pourquoi ce tamtam? Parce que le vainqueur est métis. C'est exactement accorder des droits particuliers, ou, si l’on veut, une préférence particulière, à une personne en raison de ses origines raciales : définition même du racisme.

 

Il y a quelques années, j'avais trouvé un peu excessif le rapprochement qu'avait osé Jean Baudrillard entre les associations du type SOS, par exemple « SOS Baleines », et l’opération dénommée SOS Racisme : il estimait que son effet, sinon son but explicite, était de sauver le racisme comme d’autres se proposaient de sauver les baleines. Finalement, Baudrillard voyait juste : c'est bien l’antiracisme officiel qui a sauvé le racisme ; entreprise subtile et paradoxale de réinterprétation générale de la vie sociale selon la grille des appartenances ethniques ou raciales. SOS Racisme, la HALDE et consorts auront même réussi à installer au grand jour en France un racisme jusqu’alors camouflé, et bien moindre, et qui l’avait même dépassé sous l'appellation unifiante de citoyenneté. Ce tout de passe-passe idéologique est encore une performance de la gauche : Taguieff a montré que l’antisémitisme, et le racisme furent plutôt de gauche, du moins au XIXème siècle; l’Affaire Dreyfus permit à la gauche d’exorciser ses démons ; voici qu’elle y retourne, sous la forme la plus paradoxale…

 

 

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Mardi 2 décembre, Paris -  Hier soir sur Courtoisie, Henri de Lesquen a organisé un petit dialogue d'une demi heure entre Nicolas Dupont-Aignan et moi. Alors que je souscris à tous ses développements, et que nous tombons d'autant plus aisément d'accord que ce qu'il dit aujourd'hui reprend ce que nous avons écrit ensemble en 2004 dans notre ouvrage commun "Ne laissons pas mourir la France" (et que j'avais alors largement inspiré), il s'ingénie à inventer des motifs de divergences sur le thème : "on ne peut se satisfaire de principes, il faut nous mettre d'accord sur un programme précis pour l'Europe et pour la France ; les électeurs veulent savoir où nous entendons les mener « , etc… Je ne réponds que par de bonnes paroles et m'abstiens de dire que cette prétendue nécessité d'un programme « clef en mains » supposé unir tous les opposants à la supranationalité européenne est évidemment le meilleur moyen de nous diviser. On voudrait faire éclater le front du refus, ce refus dont la victoire, loin d'être assurée, est évidemment préalable à toute politique quelle qu'elle soit, en bref on voudrait opposer les non de 2005 les uns aux autres qu'on ne s'y prendrait pas autrement…

 

Cette marche en crabe le pousse à des provocations un peu naïves lorsque par deux fois il dit reprocher à Philippe de Villiers ses accointances avec Nicolas Sarkozy - la deuxième fois je lui fait tout de même observer que non seulement il a lui aussi appelé à voter pour Nicolas Sarkozy en avril 2007, mais que deux mois plus tard il fut élu dans sa circonscription de l'Essonne grâce à l'UMP – On n’en peut dire autant des candidats MPF soutenus par Philippe de Villiers, élus en Vendée, qui étaient, eux, en concurrence avec des candidats présentés par l’UMP. Je m'abstiens de lui faire observer que, lors des prochaines législatives, il devra faire de même pour retrouver son siège de Yerres -car le moindre candidat que l'UMP lui opposerait le lui ferait perdre. Je ne le lui dis pas car il le sait, et je sais qu'il le sait puisqu'il m’a dit de lui-même que telle était son inquiétude lors de notre déjeuner commun du 13 février dernier. Il lui faut donc rendre quelque service, et notamment le signalé service de faire perdre quelques sièges souverainistes et notamment le mien lors des prochaines européennes – raison pour laquelle il présente des candidats là où il y a des sortants, et pas ailleurs.  Il sera ainsi tranquille dans la douce Essonne. De tout cela, je ne lui fais pas reproche, autrement moral, ce qui, sans doute compte peu: telle est sans doute le lot de la politique politicienne - "c'est la vie des bêtes" disait l'ami Abitbol. Et certes il ne servirait à rien qu'il perde toute base électorale, et disparaisse du jeu : cela, je ne le souhaite certes pas. Je suis un peu plus éberlué par l’attitude de ceux qui le suivent sans comprendre la combine –mais il est vrai que la bêtise joue un rôle énorme dans l'histoire des Hommes....

 

L'essentiel est que l'irrémédiable ne soit pas commis : j'ai donc décidé, dans le train qui m'emmena ensuite à Bruxelles, de lui écrire une longue lettre sur le ton le plus personnel et amical qu'il me sera possible de trouver. Je m’en vais prendre ma plus belle plume… 

 

 

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Mercredi 3 décembre, Bruxelles - La formule magique de Sarkozy est prodigieuse par ses effets : faire adhérer à sa personne des Français qui pensent tout le contraire de ce qui le guide. Pourtant, elle est bien simple: quant à l'action, il s’agit d’épouser par tous les moyens la cause des puissants (impérium étasunien, domination multiforme des oligarchies économiques ou financières, et des principaux instruments de manipulation des opinions, grands partis et ou grands médias, etc… mais il s’agit non moins, dans l’ordre du discours, non pas de parler d’autre chose mais de dire constamment et point par point tout le contraire, et de paraître épouser la cause des victimes. Jusqu'à présent aucun démagogue, si audacieux fut-il, n’avait osé aller aussi loin. Le fait que cela marche si bien constitue, pour le prêt-à-penser contemporain, comme un problème…

 

 

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Jeudi 4 décembre, Paris. - Diner des Mousquetaires. Tout le monde très en forme, Philippe de Saint-Robert, Gabriel Matzneff, François d'Orcival, Pierre-Guillaume de Roux, chacun joue allégrement sa partition. Puis, retour bienheureux à pieds, sous la pluie -et sous mon grand chapeau qui ruisselle.  Il pleut, il pleut, il pleut sur Paris et aujourd'hui il a tant plu qu'il a même plu des dizaines et des dizaines de milliards d'euros. A l'aune des milliards d'euros, cet automne fut d'ailleurs remarquablement pluvieux, chose remarquable pour un pays dont on se disait l'an dernier encore que les nappes phréatiques étaient sèches et les caisses publiques itou, au point que le premier ministre avait déclaré l'été la France en faillite…

 

 

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Lundi 8 décembre, Bruxelles. – Arrivant dans mon bureau de Bruxelles, je tombe sur cet étonnant verbatim de la rencontre qui eut lieu vendredi dernier au château de Prague, résidence du Président tchèque Vasclav Klaus, entre les présidents des groupes du Parlement européen et lui-même, dans la perspective de la présidence de l’UE qui lui échoit à la fin de ce mois. D’après un témoin de la scène, qui me donne ce document, Daniel Cohn-Bendit annonçait à ses collègues, avant même l’entretien, en fanfaronnant comme à son habitude, qu’il allait « se payer » l’affreux président, coupable de se refuser à signer le traité de Lisbonne tant que l’Irlande ne l’aurait pas fait.  Du coup, la rencontre fut des plus houleuses, au point que la présidence tchèque tint à en publier le verbatim authentifié ; voici ce que cela donne :

 

« Extraits du compte-rendu de la rencontre entre Václav Klaus, Président de la République tchèque, et les membres de la Conférence des présidents du Parlement européen, 5 Décembre 2008, Château de Prague

Daniel Cohn-Bendit : Je vous ai apporté un drapeau, qui - comme nous l'avons entendu - se trouve partout ici au Château de Prague... [propos ironique visant dénoncer l'absence de drapeau européen sur le château de Prague]. C'est le drapeau de l'Union européenne, alors je vais le placer ici en face de vous. Ce sera une présidence difficile. La République tchèque devra s'occuper de la directive sur le travail et le "paquet climat". Le "Paquet climat" européen représente moins que ce que nous aurions souhaité. Il sera nécessaire de maintenir au minimum cela.( ...) Sur le Traité de Lisbonne: Je me moque de votre avis sur ce sujet. Je veux savoir ce que vous allez faire si la Chambre tchèque des Députés et le Sénat l'approuve. Allez-vous respecter la volonté des représentants du peuple? Vous serez contraint de le signer

   Enfin, je veux que vous m'expliquiez quel votre degré d'amitié avec M. Ganley, d'Irlande. Comment pouvez-vous rencontrer une personne dont les finances ne sont pas claires ? Vous n'êtes pas censé le rencontrer dans l'exercice de votre fonction. C'est un homme dont les sources financières sont problématiques et qu'il veut utiliser pour financer sa campagne pour les élections européennes. [M. Cohn-Bendit fait ici allusion à ses accusations d'un complot de la CIA qui aurait versé quelques centaines de milliers d'euros à Libertas, le mouvement anti-Lisbonne de Declan Ganley ; Interrogé à ce sujet, le secrétariat du Congrès des Etats-Unis s'est étonné : "Êtes-vous sérieux Messieurs les Européens ? (...) Est-ce désormais la position du Parlement européen que de dire que la CIA a organisé le référendum en Irlande ?", ndlr) 

Président Vaclav Klaus : Je dois dire que personne ne m'a parlé de cette façon et sur ce ton au cours des 6 dernières années (M. Klaus est président de la république tchèque depuis 6 ans ; il fut réélu en février dernier). Vous n'êtes pas sur les barricades à Paris ici. Je pensais que ces manières avaient pris fin pour nous il y a 18 ans mais je vois que j'avais tort. Je n'oserais pas demander comment les activités des Verts sont financées... Si vous souhaitez que nous ayons une discussion rationnelle pendant cette demi-heure que nous avons, s'il vous plaît donnez la parole à quelqu'un d'autre, Monsieur le Président.  



Hans-Gert Pöttering: Non, nous avons beaucoup de temps. Mon collègue se poursuivre, parce que chacun des membres du Parlement européen peut vous interroger sur ce qu'il souhaite. (à Cohn-Bendit:) S'il vous plaît continuez.

Président Vaclav Klaus: C'est incroyable. Je n'ai jamais rien connu de tel auparavant.

Daniel Cohn-Bendit: Parce que vous ne m'avez pas encore "pratiqué"...

Président Vaclav Klaus : C'est incroyable.

Daniel Cohn-Bendit: Nous avons toujours eu de bons entretiens avec le Président Havel. Et qu'allez-vous me dire de votre attitude au sujet de la loi anti-discrimination? Par ailleurs, je serai heureux de vous informer sur nos financements.

Hans-Gert Pöttering : je donne la parole à M. Brian Crowley (président du groupe UEN).

Brian Crowley: Je viens d'Irlande et je suis membre d'un parti de gouvernement. Toute sa vie, mon père a combattu contre la domination britannique. Beaucoup de mes proches ont perdu la vie. C'est pourquoi j'ose dire que les Irlandais souhaitent le traité de Lisbonne. (quel est le rapport?) Cela a été une insulte, Monsieur le Président, pour moi et pour le peuple irlandais, ce que vous avez dit au cours de votre visite d'État en Irlande. Cela a été une insulte que rencontriez Declan Ganley, un homme sans mandat électif. Cet homme n'a pas révélé les sources de financement de sa campagne. Je veux juste vous dire ce que les Irlandais ressentent. Je vous souhaite que le programme de votre présidence en tienne compte et que vous obtiendrez ce que souhaitent les citoyens européens (aucun n'a justement été consulté sur le traité de Lisbonne, sauf le peuple irlandais qui a dit "non » !). 

Président Vaclav Klaus : Je vous remercie de l'enseignement que je tire de cette réunion. Je ne pensais pas que quelque chose comme cela était possible et n'ai rien expérimenté de tel au cours des 19 dernières années. Je pensais que c'était une méthode du passé, que nous vivions en démocratie, mais c'est la post-démocratie, vraiment, qui gouverne l'Union européenne. 

Vous avez mentionné les valeurs européennes. Les plus importantes sont les valeurs de liberté et de démocratie. Les citoyens des États membres de l'UE sont préoccupés par la liberté et la démocratie, par dessus tous. Mais la démocratie et la liberté sont en train de perdre du terrain dans l'UE aujourd'hui. (...) En ce qui concerne le traité de Lisbonne, je voudrais rappeler qu'il n'est pas ratifié en Allemagne non plus. Le traité constitutionnel, qui est essentiellement le même que le traité de Lisbonne, a été refusé par référendums dans deux autres pays [la France et les Pays-Bas en 2005, ndlr]. Si M. Crowley parle d'une insulte au peuple irlandais, alors je dois dire que la plus grande insulte pour le peuple irlandais est de ne pas accepter le résultat du référendum irlandais. En Irlande, j'ai rencontré quelqu'un qui représente une majorité dans son pays. Vous, M. Crowley, vous représentez un point de vue qui est en minorité en Irlande. Ceci est le résultat concret du référendum.

Brian Crowley: Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le Président, ce n'est pas à vous de me dire ce que pensent les Irlandais. En tant qu'Irlandais, je le sais mieux que personne.

Président Vaclav Klaus : Je ne spécule pas, moi, sur ce que pensent les Irlandais. Mes déclarations se fondent sur la seule donnée mesurable qu'est le résultat du référendum. Dans notre pays, le traité de Lisbonne n'est pas ratifié parce que notre Parlement n'a pas encore décidé. Ce n'est pas la faute du Président. Attendons la décision des deux Chambres du Parlement, ce qui est la phase actuelle du processus de ratification dans lequel le Président ne joue aucun rôle. Je ne peux pas signer le Traité aujourd'hui, il n'est pas sur mon bureau, pour le moment il appartient au Parlement de se prononcer. Après l'approbation du traité par le Parlement, je jouerai le rôle qui est le mien.

Hans-Gert Pöttering : En conclusion - et je veux quitter cette salle en bons termes - je tiens à dire qu'il est plus qu'inacceptable, de nous comparer avec l'Union soviétique. Nous sommes tous profondément enracinés dans nos pays et nos circonscriptions. Nous sommes préoccupés par la liberté et de la réconciliation en Europe, nous sommes bien disposés, mais pas naïfs.

Président Vaclav Klaus: Je ne vous ai pas comparé avec l'Union soviétique, je n'ai pas jamais mentionné les mots "Union soviétique". J'ai seulement dit que je n'avais plus eu l'expérience d'une telle atmosphère, d'un tel type de débat au cours des 18 dernières années en République tchèque, croyez-moi ».

 

            L’insolence de Cohn-Bendit, et du Président Pöttering en dit long sur l’exaspération de nos bons amis les Cabris, qui voient s’éloigner doucement la perspective de leur grand Etat supranational. Mais ce n’est pas ainsi que la presse présente les choses, bien entendu : le Monde du 6 décembre rend compte de la « rencontre » sous le titre : « Quand le président tchèque s’en prend à Daniel Cohn-Bendit » !

 

 

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Mardi 9 décembre, Bruxelles. - Les bourses ont remonté hier ; du coup on entend de nouveau la chanson "sur la crise qui n’était que passagère". Il y a six mois je m'amusais déjà des propos rassurants de ces messieurs-dames : par exemple ceux de Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France qui déclarait le 26 juin : "il n'y aura pas de deuxième vague de la crise" ; ceci quelques semaines après qu'Allan Grenspan ait déclaré que les effets secondaires des subprimes n'étaient pas graves « eu égard à leurs avantages ; globalement, elles ont profité aux consommateurs" (11 avril 2005). Quelques jours auparavant Dominique Strauss-Kahn assurait que "en 2008, la croissance ne connaitrait rien d'autre qu'un ralentissement "(3 avril 2008). On dit beaucoup que ces propos ont pour but de rassurer les marchés : en fait ils ont surtout pour but de rassurer ces messieurs eux-mêmes, cette oligarchie qui flotte dans l'éther, qui littéralement ne touche pas terre –on ne l’appelle pas pour rien la jet society car elle vit en effet dans les avions, dans l'air, en dehors de toute réalité et de toute vérité, n'ayant avec le monde qu'un rapport d'argent, rapport des plus volatile. En permanence il lui faut mentir, et d'abord se mentir. On est stupéfait que les peuples, sous couvert de mondialisation, d'Europe, de fraternité, de paix universelle, etc, aient rendu toutes les clefs à cette engeance là.

 

Les effets de cette gigantesque dépossession des peuples par eux-mêmes, ou du moins par une oligarchie mondialisée qui n'a avec eux nul rapport, sinon des rapports d'aéroport, seront à sa mesure : gigantesques. La crise économique, évidente depuis 2005, la crise financière qui en découle et qui la nourrit en retour, la crise sociale et bientôt politique, tout cela ne fait pas une crise, même pas une crise "systémique" mais une crise sismique c'est à dire un cataclysme. Les prodromes sont multiples en Europe ; ces messieurs-dames appellent "résurgence du populisme" les plus visibles ; on en voit partout les germes notamment dans les jeunesses européennes, aux Pays-Bas, en Autriche, en Hongrie, ces jours-ci en Grèce. Les manifestations qui secouent depuis quelques jours le "berceau de la démocratie" où se succèdent les plans de rigueur imposés par Bruxelles et Francfort pour satisfaire aux critères de l'€uro et les cas de corruptions, et finalement les étapes régulières d’une générale clochardisation d'une partie de la jeunesse (le salaire d'un jeune professeur est de 600 €uros pour un niveau de prix semblable au nôtre), ces « violences urbaines », comme on dit, ne sont qu'un signe avant-coureur de révolte populaire qui dans les prochains mois s'étendra sur toute l'Europe et dont une jeunesse pauvre, voire misérable, désœuvrée et désorientée fournira autant de bataillons prêts à tout tenter.

 

L'erreur de diagnostic que font, pour se rassurer, les oligarchies mondialisées, est une terrible bombe à retardement. Refusant de voir la béance de la mondialisation, système à valeur théologique qui n'autorise la survie qu’aux plus performants, qu'il s'agisse des Etats, des entreprises ou des individus, et qui de ce fait marginalise l'immense majorité des nations et des êtres ; niant l'absurdité du système sur lequel elles trônent et dont elle ne colmatent les brèches depuis 36 ans qu'à grands coups d'anticipation financière, de création de monnaie virtuelle,  ces oligarchies s'interdisent toute sagesse, toute lucidité et finalement toute porte de sortie, emportant le monde entier vers le cataclysme. C'est le fumeur qui, atteint des premiers signes du cancer, découvre qu'il ne tousse plus dés qu'il allume une nouvelle cigarette et qui, croyant la toux passagère, croit se soigner en doublant sa consommation de tabac. Les jeunes Athéniens d'aujourd'hui qui hurlent, brulent et saccagent, comme ils ont le visage de l'Europe de  demain ! Ce qui triomphe peu à peu, je le répète depuis dix ans, c’est la pure et simple anarchie…

 

 

Samedi 13 décembre 2008 ; Mirebeau. - L’angine persiste, le temps est exécrable, mais je ne regrette pas d’être allé à Loudun pour une causerie sur « Etre et parler français » : rien ne me soigne mieux que de rencontrer ces petits groupes de Français qui tiennent le flambeau, un peu partout dans le pays, jusque dans les plus petites de ses villes et dans les jours les plus sombres de l’hiver…

 

            Ce soir, après un très récent documentaire d’Arte sur la conversion de Constantin (nombreuses notes, qui se perdront sans doute elles aussi…) , nous tentons de regarder de nouveau l’émission « comique » où paraît Zemmour, que je veux voir une fois dans ses œuvres; or, l’accablement me vient aussitôt : pire que l’exaspération devant tant de bêtise, pire que le terrible ennui, pire même que la trop précise mesure que donne ce genre d’émissions de l’état d’abrutissement de mes contemporains, l’accablement vient d’un constat souvent fait ces dernières années : le comique ne l’est plus, et peu à peu toute trace d’humour public, celui des chansonniers ou prétendus « humoristes » s’évapore : l’esprit reflue à vue d’œil.

 

Or, justement, le mot esprit est fort intéressant : l’esprit d’une personne spirituelle, l’esprit de gens d’esprit, c’est l’esprit que l’on a quand on est cultivé, c’est l’esprit d’une civilisation ; mais c’est aussi l’esprit des esprits, l’Esprit qui luit dans la vie intérieure (la vie spirituelle), l’esprit de l’Esprit saint. Et c’est ce mot esprit dans sa polysémie, dans ses ramifications les plus laïques qui s’efface quand s’efface son fondement  religieux, comme si tout y tenait. Au fond, tout est simple : une religion est non seulement le fondement mais le sang même de toute civilisation : l’art, la passion politique, et la politique même, les œuvres de l’esprit, l’Esprit. Qu’elle s’effondre et toute valeur disparait, jusqu’à supprimer lentement l’imagination, la création, la politique. L’effacement du christianisme en France ne laissera survivre aucune France, même laïque.

 

 

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Dimanche 14 décembre ; Mirebeau. - Remettant de l'ordre dans les journaux de novembre, je tombe sur l'incroyable flot de commentaires qu'a charriés la victoire de Barack Obama. "Un président pour le monde" a titré la presse Rothschild (Libération); "Obama a comblé le vide que le monde attendait confusément....." commenta de son côté un Ponte du matin ; "The World Président" titrait un autre… Je tombe finalement sur l'exquise exclamation de Rama Yade au lendemain de cette grande victoire : "Aujourd'hui, on a tous envie d'être américain" ; à bien y regarder, c’est une  déclaration stupéfiante dans la bouche d'un membre du gouvernement français.

 

Or, pourquoi ce tam-tam? Parce que le vainqueur est métis. C'est exactement accorder des droits particuliers, ou, si l’on veut, une préférence particulière, à une personne en raison de ses origines raciales : définition même du racisme.

 

Il y a quelques années, j'avais trouvé un peu excessif le rapprochement qu'avait osé Jean Baudrillard entre les associations du type SOS, par exemple « SOS Baleines », et l’opération dénommée « SOS Racisme » : il estimait que son effet, sinon son but explicite, était de sauver le racisme comme d’autres se proposaient de sauver les baleines. Finalement, Baudrillard voyait juste, c'est bien l’antiracisme officiel qui a sauvé le racisme : entreprise subtile et paradoxale de réinterprétation générale de la vie sociale selon la grille des appartenances ethniques ou raciales. SOS Racisme, la HALDE et consorts auront même réussi à installer au grand jour en France un racisme jusqu’alors camouflé, et bien moindre, et qui l’avait même dépassé sous l'appellation unifiante de citoyenneté. Ce tour de passe-passe idéologique est encore une performance de la gauche : Taguieff a montré que l’antisémitisme, et le racisme, furent plutôt de gauche, du moins au XIXème siècle; l’Affaire Dreyfus permit à la gauche d’exorciser ses démons ; voici qu’elle y retourne, sous la forme la plus paradoxale et la plus destructrice qui soit, quant à l’unité nationale, mais aussi quant à l’étoffe même dont est faite la civilisation française. 

 

 

                                               

 

 

 

 

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