1 au 15 janvier 2009
1er janvier 2009 ; Fongombault. – Il faudrait reproduire chaque jour cette sorte de laudation infinie qu’est ici, tous les matins à 6 h 30, l’office des Laudes : « Gloire à Dieu pour les arbres, gloire à Dieu pour les feuilles sur les branches, gloire à Dieu pour les oiseaux, gloire à Dieu pour l’eau des rivières, pour les mers et les océans, gloire à Dieu pour les montagnes… ». Partirai tout à l’heure, immédiatement après la grand messe, bien à regret…
*
Dimanche 4 janvier, Bordeaux. - Ma mère prend grand plaisir à regarder de temps en temps, sur internet la lettre quotidienne des « Manants du roi » ; il est vrai que ce site est fort bien fait, et j’admire qu’il se renouvelle tant, jour après jour ; aujourd’hui, je tombe sur un extrait de « L’Humanité Dimanche » du 12 mars dernier ; un article d’un certain Michel Cardoze que je ne résiste pas à l’envie de copier dans ce journal, tant il me paraît judicieux :
« Notre système politique connaît aujourd'hui une grave "dérive monarchique », dit-on. C'est à mon avis le contraire: Nicolas Sarkozy s'applique à détruire ce que la fonction présidentielle avait en effet de monarchique. Je m'explique. Que la Constitution de la Ve République favorise le pouvoir personnel et rabaisse le rôle du Parlement et en général celui de tous ses élus, c'est une vérité connue depuis un demi-siècle (1958) (…) On assez dit que le régime était une monarchie républicaine: le roi est élu mais c'est le roi. Il ne guérit plus les écrouelles en sortant de la cérémonie du sacre, mais il gracie les condamnés et personne ne connaît son budget ou ses doubles vies. La justice ne peut le poursuivre. Il est "au-dessus" des partis. C'est tout cela que Nicolas s'applique à détruire.
Signes de la destruction de la monarchie: la familiarité de langage et de comportement, constatée pendant la campagne et depuis. De "Descends me le dire en face si t'es un homme" à "Casse-toi, pauv'con", mais aussi le sac à main beigeasse, "Je vais l'offrir à Carla qui m’a demandé de lui rapporter quelque chose", etc., chaque jour offre son lot de comportements de Mimile rouleur de mécaniques ou de nouveau riche content de l'être. Voilà qui peut marcher chez certains qui ne sont pas forcément des salauds. Mais on est loin de la majesté royale républicaine et du sacré qui justifie cette majesté. Les rois étaient sacrés car ils tenaient leur pouvoir héréditaire de Dieu et d'un sacre aux saintes huiles. Le président inventé par de Gaulle (1958) était jusqu'ici sacré par le suffrage universel et les saintes urnes.
Sarkozy refuse et démantèle le sacré. Même sa vie privée participe de cette désacralisation: ce n'est pas Louis XIV et ses maîtresses honorées, mais un mélange de comédie de boulevard et de collection Harlequin, c'est-à-dire, en vérité, la vie de tout le monde, "Est-ce qu'il gère la France comme ses amours? Deux mois après la rencontre, il épouse...", dit, navré, mon médecin Habib S. Et moi je réponds: "Il a le droit, non? (et je pense: c'est vrai, mais bon dieu, ça ne fait pas président-monarque)... Elle est donc voulue, consciente et organisée, cette destruction de la monarchie par celui qui se pense non comme un souverain, mais comme un "boss".
(…) Alors cette destruction de la monarchie, une bonne affaire pour les adversaires du "pouvoir personnel"? Eh bien non, justement. Car la destruction de ce que la République tient de la monarchie, le sacré de la fonction, pourrait déboucher sur la pire des aventures, une sorte de proconsulat de la vulgarité et du volontarisme. Ce volontarisme risque d'être suivi de si peu d'effet que désordre et violence en prospèrent. Ce déglinguage de la société est le fruit mauvais de la crise de la représentation politique malade à crever des promesses jamais tenues, ni par les uns ni par les autres.
*
Mardi 6 janvier, Bruxelles. – Hier au soir, à Bordeaux, très belle réunion publique : environ 80 personnes à l’Athénée – un 6 janvier, par -5°… Est-ce l’excellence de l’équipe du R.I.F. d’Aquitaine ? Il m’a semblé que la mobilisation était plus aisée qu'auparavant, et l’écoute plus spontanée : « la crise » (René Guénon rappelle que Krisis veut dire aussi : décision, et jugement…) ouvrirait-elle les cœurs ?
Offensive israélienne à Gaza : à l’évidence, le moment est dicté par le calendrier politique de Washington, l’actuel président Bush fait ses bagages de départ et ne peut prendre aucune initiative, le futur Obama est fondé à ne rien dire. Ne rien dire, on a l’impression que cela l’arrange fort bien : prenant ses fonction dans quinze jours, il aura beau jeu d’exiger d’Israël l’arrêt des bombardements, quand il n’y aura plus pierre sur pierre à Gaza. Voila qui confirme déjà ce que l’on ne murmure encore que du bout des lèvres, qu’il est « très proche » du « lobby sioniste ». Les nominations en attestent : Hillary Clinton, nouvelle Secrétaire d’Etat, est ouvertement pro-israélienne, de même ses conseillers nouvellement désignés : Aaron Miller, Dan Kurstzer, ancien ambassadeur en Israël, Dennis Ross, celui-là même que M. Clinton avait chargé de saboter les négociations suivant Oslo, rompant le « processus de paix » que ledit lobby ne supportait plus. Un journaliste du Haaretz , écrivait récemment qu’on ne pouvait qu’avoir confiance dans la politique d’Obama « puisque ses dix principaux conseillerss étaient juifs » ; sans doute est-ce un peu excessif, et Washington ne saurait rompre tout lien aves ses nombreux alliés arabes ; mais la seule nomination de son directeur de cabinet, Rham Emmanuel, est éloquente : disposant de la double nationalité, étasunienne et israélienne (il n’a pris la nationalité américaine qu’à dix huit ans), celui qui est, au moins à égalité avec le Vice Président, le « numéro 2 » da l’administration étasunienne s’est s’engagé dans Tsahal pendant la guerre du Golfe ; son père était un des dirigeants de l’Irgoun, et fut probablement, d’après Emmanuel Ratier (« Faits et Documents »), l’ »exécuteur » du Comte Bernadotte, représentant de l’ONU en Palestine, puis, en 1948, du colonel français André Sérot, observateur militaire de l’ONU. Il est significatif sans doute que la bio dudit père sur Wikipedia ait disparu dix jours après la nomination de son fils… Bref, Obama pencherait nettement pour Tel Aviv, sans trop le dire, ce qui devrait ouvrir un certain rôle à la diplomatie française – si du moins le président de la république française ne penchait pas dans le même sens. Pauvres Palestiniens !...
*
Jeudi 8 janvier, Bruxelles - Monsieur de Villepin sort de sa réserve (toute relative...) pour critiquer la façon dont le président de la république annonce chaque jour ou presque de nouvelles réformes ce qui, dit-il, donne le tournis aux Français. Et, en effet, l'activisme du toujours plus Sarkozy vibrionnant, donne à tous le vertige : en trois jours, annonce deux "grandes réformes", celle de l'instruction judicaire, celle de l'hôpital public. Certes, on ne peut nier la nécessité des réformes; mais M. de Villepin a raison de dire qu'il faut accorder le tempo à celui de l'Etat, lequel ne doit pas agir dans la précipitation - risquant alors de devoir rapporter des réformes ou de les réduire à rien, ce qui s'est beaucoup vu depuis un an, et nuit dangereusement à son prestige et à son autorité. Mais ce qu’il ne dit pas, et qui est beaucoup plus grave, c'est que cet activisme ne fait que masquer, et on pourrait même dire qu'il n'est fait que pour masquer l'impuissance générale de la prétendue "puissance publique". La réforme des hôpitaux entre dans la fonction des différents ministres de la santé qui se sont succédé depuis des années mais se heurte à des féodalités médicales des pontes aux « personnels soignants », tous inconsidérément méfiants, et d'élus locaux irresponsables - par exemple sur la question des maternités dans les petites villes. Idem pour l'instruction qui n'est qu'un tout petit aspect de l'actuel naufrage de l'institution judicaire, laquelle est en rébellion permanente. Sur ces sujets, comme à peu près tous les autres, tout est paralysé par le défaut de légitimité forte de l'Etat ; les annonces en cascade ont, en face de cette question cruciale, quelque chose de dérisoire. Il est vrai que la perte d'autorité est pour ainsi dire inscrite dans la décadence des valeurs collectives et la dilution corrélative du pouvoir public national : et c'est bien par là qu'il faudrait commencer. Nul ne doute cependant que cette tâche soit très au-dessus du sémillant personnage.
*
Vendredi 9 janvier ; Mirebeau. – Un petit soleil pâle fait miroiter la neige recouvrant le jardin ; cette après midi, il en rejaillit dans toutes les pièces une lumière d’une pureté étincelante.
Incidemment, j’entends lors du journal du soir de France Culture : « C’est en France que le conflit du Proche-Orient a le plus grand retentissement, car c’est la France qui compte en Europe le plus grand nombre de juifs et de musulmans ». Il fallait cette circonstance, sans doute, pour que l’on en vienne à reconnaître ce simple fait, qui contrevient tant au discours général sur les supposé racisme, antisémitisme et xénophobie caractéristiques de l’ignominieuse France…
*
Samedi 10 janvier ; Mirebeau. – Dans le même ordre d’idées, et sur la même France Culture, ce matin, reportage sur la visite que fait ces jours-ci au Danemark notre ministre Christine Boutin. Elle reconnaît que les Danois parviennent mieux que nous à protéger les miséreux, notamment les « sans domicile », ajoutant comme en passant : « il est vrai que le Danemark est intraitable sur l’expulsion des clandestins » ; et certes, la France, qui les appelle benoîtement « sans papiers » est bien moins intraitable : autre figure sans doute de notre xénophobie…