1 au 15 octobre 2008

 Jeudi 2 octobre,  Paris. Coup de téléphone d’une dame qui, après tant d‘autres, me demande « où en est ma querelle avec Nicolas Dupont-Aignan » et si, décidemment, « il ne serait pas possible de faire l’unité » -l’interpellation est fréquente, et fait plaisir. Comme à l’accoutumée, je réponds qu’il y a d’autant moins de querelle entre nous que je ne parviens plus à avoir avec Nicolas le moindre rapport, pas même par téléphone : depuis un étrange déjeuner au cours duquel il m’a élégamment averti « qui n’est pas avec moi est contre moi », il a tiré pour ainsi dire son rideau. Dans ces conditions, dis je benoîtement à la dame, la seule façon de faire l’unité serait de me retirer – d’ailleurs, il n’est pas sûr que cela suffise… « Ah non, me dit-elle, continuez, et continuez L’Indépendance ! » ; c’est bien mon intention, d’autant que je voudrais mener jusqu’à son terme le combat contre la supranationalité, qui pourrait finalement être gagné. Que faire ?

 

Si j’avais fait acte de candidature dans sa circonscription de l’Essonne, je comprends que l’on m’adresse pareille requête : ne pas rompre l’unité. Mais je vois mal que ce soit à moi que l’on s’adresse. Je crois la conversation achevée, mais voici ce que j’entends : « Rassurez-vous, j’ai tenu à Nicolas le même discours que celui que je vous tiens : il ne veut pas être élu, et tient à rester député d’Yerres. Il lui faut simplement se présenter pour avoir un peu de visibilité, comprenez-vous ? ». Ainsi, pour un peu de visibilité médiatique, (âpre maîtresse !), il faudrait prendre le risque de perdre un siège -et sans doute deux, car, si nous sommes unis, nous pouvons obtenir deux sièges en plusieurs circonscriptions, notamment en Ile-de-France. La concurrence est d’autant plus stupide que, comme je le lui ai déjà proposé, la numéro deux de la liste (il faut, d’après la loi, que ce soit une femme), pourrait-être une responsable de DLR. Ce fut le cas en 2004 avec Sylvie Perrin, alors vice-présidente de DLR, et je m’étais fort bien porté de ce partenariat, qui d’ailleurs aurait pu lui permettre, aurions-nous obtenu un peu plus de voix, d’être élue. Je suis tout prêt, et Philippe de Villiers aussi je crois, à reprendre cet équipage, avec cette fois, plus de chance de succès, et de faire équipe avec quelque militante DLR que Nicolas désignerait. Que faire de mieux ? Mon interlocutrice part alors d’un petit rire et me dit : « Moi par exemple ? ». Charmant, la politique !

 

 

Vendredi 3 octobre, Mirebeau. Angine persistante. Grand silence sur le prieuré ; froid ; le vent secoue les arbres des deux cotés du bureau, puis se calme. L’automne tombe sur chaque chose.

           

Peu de musique, dont je choisis les morceaux avec soin : ces jours-ci, Malher, émotion intacte de ma jeunesse ; Kindertotenlieder, Rûckert Lieder, Lied der Erde - Ferrier bien entendu, dont la voix est celle là même de la tristesse d’automne. A part cela, me contraint au silence – me tiennent compagnie les bruits feutrés des chats, les crépitements de la cheminée, et, tous les quart d’heure, les cloches  de l’église… Après déjeuner, m’autorise chaque jour un DVD ; depuis deux jours, « Jeanne d’Arc » de Bresson, que Ph. de V. m’a recommandé ; ainsi que, en supplément, le discours de Malraux pour son anniversaire, à Orléans, dont il m’a récité des bribes  par cœur, et que je devrais retranscrire entièrement ici…

 

Travail intermittent ; lectures  des biographies des rois de Belgique (Patrick Rogiers, au style plutôt déroutant). Aussi, cette merveille : Hannah Arendt sur le concept d’histoire, d’où je tire une sorte d’histoire de la politique, que je songe à mettre en ouverture de mon traité sur la Belgique, laquelle en illustre si bien l’incroyable enlisement. Plus que la Belgique, mon sujet est la déliquescence des Etats européens, dont l’actuelle situation belge est si emblématique.

 

 

Dimanche 5 octobre, Mirebeau. Erick Satie, décidemment : sa drôlerie -« étude sur les embryons desséchés, ce que les ignorants nomment concombres des mers »… Aussi Ravel et, le plus aimé de tous, Debussy. Bain de musique française. Il y a une musique comme il y a une lumière, une langue, une politique française. Quoi ? Peut-être le « rien de trop » : le goût de l’équilibre, qui est le goût même.

 

            Réfléchir à ceci : entre 1709, naissance de Michel Corette, et 1803, naissance d’Hector Berlioz, soit au long d’un siècle, il n’est pas né un seul compositeur français -mis à part Boieldieu, lequel n’est pas majeur. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il n’est point possible d’accéder à la musique du monde quand le monde se dérègle : on ne « s’entend » plus. Réfléchir à cela, en parler à JP Dous, dont je veux relire le manuscrit sur Rameau, « le philosophe musicien » ; et revenir avec lui sur sa théorie de « l’entendement » : c’est par l‘oreille que l’on comprend ou l’on ne comprend pas le monde –je veux dire l’harmonie. Raison pour laquelle, peut-être, les personnes aveugles sont moins malheureuses que les personnes sourdes : l’ouïe relie bien plus au monde que la vue…

 

 

Lundi 6 octobre, Paris. Depuis quarante ans, ils ont détruit les instruments les plus élémentaires de l’action politique, jusqu’à ses mots cardinaux ; ils croyaient découvrir  la paradisiaque nature, les voilà nez à nez avec les situations de force, des échafaudages de crédit, de faux argent, la pure anarchie, et nulle arme entre leurs mains. Keynes lui-même, ce Keynes aujourd’hui revenu sur le devant de toutes les scènes, postulait l’existence d’Etats en ordre, suffisamment puissants pour mener une politique. Ces Etats, aujourd’hui, où sont-ils ? A quel « keynésianisme » peut-on penser sans Etat ?

 

 

Mercredi 8 octobre, Bruxelles. Chaque jour, j’écoute sans émotion la chute des cours de bourse : non parce que je n’ai pas la moindre action -j'ai choisi depuis lurette, en fait de placement, la pierre et l’or, en somme des choses réelles, ce dont je me porte fort bien du point de vue personnel. Ce qui m’intéresse le plus, c’est la négation de la crise, qui est bien davantage qu’une crise, et le grand art qu’ont les uns et les autres de la minimiser. Or, elle se poursuivra aussi longtemps que se prolongera sa cause première, la désertion du politique, ou, pour dire la même chose autrement, la pulvérisation de la souveraineté : c’est  bien cela qui, laissant les « puissances d’argent » seules en scène, jusqu’à la folie, leur a permis de faire n’importe quoi .

 

La civilisation française repose depuis toujours sur une tension entre trois ordres : spirituel, politique et économique. La tension du spirituel et du temporel, ou laïcité, n’entre pas ici dans notre propos – encore que sa propre désertion, c’est à dire l’effacement d’une religion partenaire, le christianisme, contribue à l’absolutisme des logiques économiques. Mais ce qui a fait le plus cruellement défaut depuis 30 ans (1971 peut-être, avec la fin de la contrainte de la convertibilité fixée à Breton Woods), c’est la complète abdication de la décision politique et sa fuite générale dans l’anticipation financière confondue avec la croissance, dans la dépense publique, le déficit et la dette confondues avec le gouvernement des hommes (on ne décide plus, on dépense) et dans la création de monnaie confondue avec la prospérité – aux Etats-Unis, depuis 1972, la création monétaire a été multipliée par 24. Depuis, « le flouze n’a plus personne en face » comme l’écrit sans plus de façon Régis Debray dans « L’argent maître », titre du dernier numéro de sa revue, Médium : rien n’y résiste, ni même l’art, mais surtout pas la politique, qui, abdiquant toute autorité propre et ses signes (des lois, rarement appliquées, aux serviteurs de l’Etat, perpétuellement moqués, à la raison d’Etat, disqualifiée, en passant par son attribut suprême, ce mot de « souverain » désormais réservé à… des fonds ! ). Complet renversement de notre équilibre social millénaire, quand Rois et Républiques veillaient à tenir en bride (ce qui ne veut pas dire brider) les puissances économiques et financières. Le « politique d’abord » règle toute notre histoire, les épisodes qui l’illustrent étant innombrables –que l’on songe seulement à la figure de Philippe le bel domptant à la fois le Pape, et les Templiers.

  Or l’intrusion de la logique financière dans le domaine propre du politique a pris des proportions stupéfiantes : l’affaire Dexia a incidemment mis à jour que la banque sauvée in extremis servait « d’interface » à l’Etat pour financer plusieurs investissements décentralisés. Quel besoin a l’Etat de recourir à une banque pour assurer ses propres dépenses ? On n’en finirait pas d'énumérer les signes de l’auto-dessaisissement de l’autorité politique – de la souveraineté – laissant  la bride sur le cou à toutes les puissances de fait.

 

 

Jeudi 9 octobre ; Paris, au soleil. Un de ces beaux jours d’automne où, immanquablement, chaque année, je pense à l’octobre pâle et pur de Mallarmé. Hier au soir, agréable « libre journal » de Courtoisie avec GB, MJS, le père Lelong, Louis Chagnon qui vient de publier « La conquête musulmane de l’Egypte ». Nombre remarquable de questions ou réactions d’auditeurs :il y en avait bien une quarantaine ! Puis, court diner chez Lipp avec GB : se sortira-t-on un jour de ce numéro des Cahiers ?  C’est une croix !

 

 

Vendredi 10 octobre; rentré tout à l’heure à Mirebeau. Habituelle joie des retours ; hier matin, noble messe, en l’église Saint Léon, autour du cercueil de Jean Foyer –messe noble te douce comme il le fut : pour moi, Jean Foyer représente exactement le mot gentil au sens français du terme, que l’on pourrait traduire par policé. Il aimait Dieu, le chant grégorien, la France, le droit,  la civilisation. Je fus heureux que l’hommage de Terray, prononcé au nom de l’Institut le qualifie sans ambages de « souverainiste ». Le mot sonna bien. Je repense à son ouvrage « Souverainisme, j’écris ton nom. » Est-ce pour cette raison qu’aucun ministre, aucun responsable de l’UMP n’a participé à la cérémonie ? Comme cet homme fut courageux ! Puis ai emmené Saint Robert, plus chagriné qu’il ne le montre, déjeuner chez Lipp où j’ai réservé une bonne table pour Angelo Rinaldi et Christian Combaz ; excellentes compagnies. Puis bon travail dans le train.

 

Ce matin, beau temps ; le jardin est flamboyant sous le soleil d’automne ; les feuilles ne sont pas mortes, puisqu’elles changent de couleur ; elles se dorent, et celles qui sont à terre se tournent et se retournent sur l’herbe, au petit vent, comme des belles. Autour du saule pleureur, formant un cercle, ont poussé de hautes fleurs mauves dont j’ignore le nom, et qui lui font au comme une couronne de vieux roi assoupi…

 

 

Samedi 11 octobre, Mirebeau. A la Bourse de Paris, les valeurs ont en moyenne perdu 22% cette semaine ; près de 50% depuis le début de l’année.

 

Etonnante année 2008  : ouverte sur la célébration de « mai 68 », elle débouche finalement sur « l’automne noir » d’une crise financière sans pareille depuis 1929 –pire sans doute en ce que l’amoncellement puis l’écroulement du château de cartes usuraire ( le sacro-saint « crédit », clef de l’époque) aura des conséquences qui dépasseront le simple ajustement des années 30… Mai 68, crise financière, quel rapport ? Bien qu’il soit évident, peu d’esprits ont assez de recul pour l’apercevoir : pourtant, la formidable remise en question du politique, principalement de l’autorité de l’Etat et de l’autorité tout court, qui s’autocélébrait il y a quelques mois encore ne pouvait pas ne pas avoir remis tous les pouvoirs ou presque à une société civile dont il était immanquable qu’elle fût dominée par les oligarchies financières ; naïveté de taille que d’avoir cru qu’en remettant en cause l’autorité de l’Etat (« votre Etat » comme le disait si dédaigneusement le fier Cohn Bendit), on ne ferait pas le lit de l’argent-roi, à quoi l’Etat a pour raison d’être le contrepoids –cela depuis Philipe le bel au moins.

 

 La légitimité politique ou les puissances de fait, depuis toujours, il faut choisir; en choisissant de brocarder l’Etat sous toutes ses formes, « l’Etat-policier » , « l’Etat-patron », « l’Etat-ENA », et même « l’Etat-nation », en dénichant partout ses « dérives autoritaires », dans les médias, dans les écoles, ou les universités, ou « dans les têtes », autre slogan d’une génération qui ne fut rien d’autre qu’anarchiste dans son essence même,  en remettant en cause le principe cardinal de toute république, la souveraineté, elle a simplement confié le monde aux hégémonies supranationales et aux oligarchies de toutes sortes. Oh, certes, celles ci ne sont pas à blâmer : les empires font de la supranationalité par nature (cher Platon !), comme les financiers font de l’argent, c’est à dire comme les jardiniers font le jardin : nous n’avons pas à leur reprocher de faire ce pour quoi ils sont faits –moins encore à « chercher des coupables » comme l’a benoitement demandé le président de la république, lequel montre une fois de plus qu’il ignore au fond ce que peut bien vouloir dire le mot politique, qu’il confond avec un jeu dérisoire d’apparences –à quoi il la réduit en effet. C’est la politique, c’est l’Etat sous ses deux espères, producteur de droit à l’intérieur et, à l’extérieur, acteur des relations entre les nations qui est responsable des équilibres ou des déséquilibres du monde. A doubler l’Etat nation de mille façons, « acteurs de la société civile », ONG, indépendance des magistrats, liberté des professeurs, autonomie des régions, irresponsabilité de la presse devant quoi que ce soit, et bien entendu, Commission, Cours et Banques prétendument « européennes », à ériger les contre-pouvoirs de tous poils en maitres censeurs universels, à reléguer la souveraineté aux oubliettes et ses défenseurs aux musées empoussiérés (j’en sais quelque chose !), on a détruit les seules digues capables d’endiguer la réorganisation du monde selon la seul logique financière.

 

L’époque qui enfin s’achève a t-elle-commencé en 1968, ou bien en 1974, quand l’Etat se mit tout à coup, tournant le dos à la grandeur gaullienne, laquelle est pourtant seule capable de donner à la France un élan), à se proclamer tout à coup « modeste » ? Ni 1968, ni 1974, sans doute, mais plutôt, exactement entre les deux, en ce jour d’aout 1971 où le président américain décida de ne plus assurer la convertibilité du dollar en l’or, libérant d’un coup la création de monnaie et donnant à ses détenteurs un pouvoir inégalable –ce que l’on commence à peine à payer aujourd’hui.

 

Que faire ? surtout pas condamner le libéralisme, au sens du sage Péguy écrivant (dans « l’Argent » !) que le « libéralisme était le contraire du modernisme », en ce qu’il supposait justement un pouvoir qui fit équilibre, au nom même de la liberté, aux forces brutes  de la société industrielle, marchande, financière. Si clairvoyant Pierre Boutang qui, dans le « précis du foutriquet », pamphlet contre le Président de l’a-république d’alors, avait bien vu de quoi était fait ce libéralisme avancé » ; je l’entends encore : « avancé comme le camembert ! » et rien n’était plus contraire au libéralisme qu’une pareille pulvérisation du politique.  Que faire ? restaurer le politique et d’abord sa clef de voute juridique, dont dépens l’ensemble de son autorité et la conception même de la res-publica, la Souveraineté, telle que la théorisait déjà Jean Bodin, voici cinq siècles dans les « Six Livres de la République ». Souveraineté, Légitimité, primat du droit et de la loi sur le contrat et toute autre forme de négociation à quoi, devant les mille féodalités accourues à l'hallali, la puissance publique n’a cessé de s’abaisser depuis une génération

 

Une génération longue de 35 ans : cette longévité où l’on peut certes apercevoir l’effet d’un allongement regrettable de la vie publique, est surtout le signe de la formidable conjonction de forces qui eurent intérêt à mettre l’Etat à la curée. Mais elle passera, les actuelles « grandeurs d’établissement » s’effondrant sans grand doute possible dans les inévitables probablement dramatiques crises sociales vers lesquelles nous plongeons. C’est vers l’Etat que l’on se tournera, que l’on se tourne déjà : encore faudra-t-il d’abord le reconstruire, sortir la puissance publique de l’impuissance chronique où elle s’est elle-même fourvoyer et dégager les conditions nouvelles, c’est à dire traditionnelles, de la souveraineté politique.

 

 

Dimanche 12 octobre, Mirebeau. Je n’en croyais pas mes bonnes oreilles tout à l’heure en écoutant l’Esprit Public – brave émission qui prétend représenter toutes les sensibilités de l’opinion, sauf la notre ; voici que l’invité du jour, Valéry Giscard d’Estaing, au milieu de platitudes si clairement et calmement débitées qu’il paraît prendre du coup, un peu d’épaisseur –mais que de sornettes, pourtant, et quel aveuglement sur la crise, qu’il circonscrit comme il peut-  décoche ceci : « A l’évidence, les solutions ne peuvent être que nationales ». Parfait ; fort décalée, ensuite, la vieille soldate de la pensée zéro qui présente le journal de midi trente et annonce : « Crise financière : l’Europe trouve des solutions » et répète en 12 minutes de journal, le mot Europe ou européen une bonne vingtaine de fois, à propos de tout, économie, politique étrangère, avenir de « l’extrême-droite » autrichienne… ; et notamment à propos d’une grande affaire dénommée « les jeunes pour l’Europe » qui a lieu à Nantes et qu’elle annonce ainsi : « les jeunes Français sont passionnément européens » (sic) oubliant bien entendu que près de 60% des 18-26 ans ont voté Non le 29 mai 2005…Les jeunes voudraient, à l’entendre, un service civil européen, un état-major européen (on ne dit pas, bien entendu, une armée ), une politique étrangère commune etc… Qui sont ces fameux jeunes ? M. Giscard d’Estaing paraissait tout à l’heure plus réaliste… Mais sans doute est ce par ce que l’échafaudage européen branle que la propagande de radio France redouble… Je me demande d’ailleurs si la dénommée « information » n’est pas plus contrôlée que jamais, sur tous les canaux…

 

Quant aux éminences du jour, elles font pitié : la bourrasque financière ne provoque chez nos éminences politiques qu’un reflexe : se réunir. Ils passent leur temps ensemble, l’inénarrable Sarkozy battant tous les records de réunionite : la semaine dernière, conseils interministériels en série, sommet G7 avant hier, rencontre franco-allemande hier, euro-groupe aujourd’hui, sommet européen exceptionnel après demain. Me fait penser à un troupeau de chèvres : au premier coup de tromblon, elles se réfugient dans un coin de pré et s’agglutinent en bêlant.

 

 

Lundi 13 octobre, Bruxelles. Voici soixante ans, s’est réunie à la Haye une grande conférence européenne dont il est d’usage de faire le point de départ de l’Europe unie, grande idée du second demi-siècle européen ; elle fut bientôt traduite en institutions : la CECA en 1950, puis Euratom, le Marché Commun fondé à Rome en 1957 devenu en 1992 l’Union européenne, laquelle intervient désormais dans  chaque domaine de la vie publique. L’Europe n’est plus supposée être seulement unie, elle fusionne. De tout cela, on aurait pu  déduire que, soixante ans plus tard, les Etats avaient acquis assez d’intimité  pour que, lorsqu’un terroriste coupable de plusieurs meurtres dans un des pays de cette grande fraternité allait se réfugier dans un autre et qu’il y était capturé par la police, celle-ci l’expédie dans le pays où le crime fut commis ; ce serait comme on dit « la moindre des choses», en fait de coopération  entre Etats supposés faire de la lutte contre le terrorisme leur priorité. Eh bine non ! Une certaine Pétrella, qui a commis je ne sais combien d‘attentats en Italie (notamment le meurtre d’un policier !), n’est toujours pas extradée vers son pays, pourtant désireux de la juger. Comment M. Sarkozy, grand européen, grand pourfendeur du terrorisme, peut il manquer à cette solidarité pourtant élémentaire, et bien simple ?

 

La réponse est tout aussi simple : la soeur de la nouvelle femme du président de la république est une amie de la terroriste ; elle lui rend visite, elle la cajeole ; elle a donc demandé à sa sœur de demander à son mari de prendre la décision contraire à celle que pourtant tout dicte, non seulement les impératifs de sécurité publique, ou la solidarité européenne, mais le simple bon sens ; mais cela pèse peu, semble-t-il, au regard des injonctions, ou du caprice, de l’impérieuse Carla, laquelle sait pouvoir tout se permettre –puisque son présidentiel mari ne peut se permettre de nouvelles histoires. Quand on pense qu’il est encore de braves gens pour soutenir ce rigolo !

 

Au passage, notons que ladite belle sœur italienne, très belle, très italienne, très riche aussi, et très très très à gauche, juge du coup Nicolas très très bien. Pardi ; comme ce petit monde, lui, s’accorde : un bon point au moins pour une sorte d’Europe, celle des bobos…

 

 

Mardi 14 octobre, Torun (Pologne). Sommes arrivés tout à l’heure, vers midi, à Varsovie - Je parle d’un petit groupe de Indépendance et Démocratie, dont mon ami et collègue Patrick Louis, et un de nos collègues tchèques, Vladimir Zelezny ; le clou de deux courtes journées sera la participation à une soirée politique à l’Université catholique de Torun, organisée par nos trois collègues polonais, puis, demain, des débats retranscrits par la très catholique radio Maria, et la télévision  à laquelle sa prospérité lui récemment permis de donner naissance… J’ai hâte de voir tout cela !

 

En attendant, une solide épreuve : Varsovie-Torun, (soit 300km environ), dans un mauvais autobus. Occasion d’une longue conversation avec PL sur « la crise »  -c’est qu’il est aussi, diable, Professeur d’économie à l’Université de Lyon, et il a l’esprit clair… Nous nous étonnons un peu que les innombrables réunions des chèvres bêlantes aient si vite réconforté toute la planète : l’enthousiasme est partout, et l’on s’assemblent de toutes parts autour des chèvres assemblées, et la plus mirobolante, Sarko. Les banques vont, par les garanties que leur ont données hier les chefs d’Etat, pouvoir de nouveau se prêter entre elles, le noeud de la crise se dénouant ainsi. Il n’est personne pour faire remarquer que la fonction des banques est de servir d’intermédiaires épargnants et investisseurs, nullement de se prêter entre elles -entremêlement de créances dont on ne sait d’ailleurs sur quoi elles sont gagées. Dans la série les choses ne sont plus ce qu’elles sont, voici la dernière confirmation : les banques ne sont plus des banques –du moins leur fonction première est-elle devenue très accessoire. Mais qui oserait encore rappeler les choses à leur fonction ? Tant les esprits sont dévoyés, qu’ils acceptent que les choses ne soient plus ce qu’elles sont.

 

Au fil de la conversation, nous en arrivons à cette idée bien simple, si simple qu’il fallut bien du temps pour y arriver comme naturellement : n’est ce pas plutôt, bien devant que les banques, certaines industries qu’il faudrait renflouer ? Si l’Europe voulait rester dans la course, n’est pas aux industries, à la recherche qu’il faudrait consacrer ces 1 700 milliards ? pourquoi passer par l’intermédiaire des banques, où s’engloutit aujourd’hui l’argent public, et qu’il ne me paraît point utiles de sauver, malgré les conséquences en chaine de ces fermetures et les traumatismes durables que leur faillite entrainerait (terribles pour nombre de nos contemporains, mais salutaires) ? C’est la vitalité des entreprises qu’il faut assurer, au besoin directement, quand bien même la politique industrielle contrevient-elle aux principes de concurrence libre et non faussée ; ce dogme ne pourrait-il être enfreint qu’au seul profit des banques ?

 

Du parcours, rien de notable, je griffonne ces notes en regardant d’assez belles forêts d’automnes, remarquablement composites : chênes, châtaigniers, pins, et force bouleaux, l’un des arbres préférés – préférés de Frédéric, aristocrate perdu au fond de la Poméranie, dont j’avais fait le personnage principal d’un roman en partie écrit à l'université, et que j’avais lassé inachevé… Sur le bord des routes, tous les kilomètres, et quelquefois moins, des femmes ou des enfants sont assis à coté de grand paniers remplis de cèpes –nous semble-t-il ; mais peu de clients, apparemment….

 

 

Mercredi 15 octobre, Torun (Pologne). Hier au soir, la réunion avec quelque 160 élèves de l’université catholique fut des plus charmantes, et rassurante : il y a encore une jeunesse européenne ! Certes, les professeurs-prêtres, qui ont tous un beau visage volontaire et clair, semblent s’être exemptés de l’idéologie progressiste de rigueur ; on entend dans leur bouche de belles choses des temps anciens, que je crois devoir être aussi ceux des temps à venir. L4nuversité est bien équipés, les étudiants semblent particulièrement éveillés et incisifs : deux heures de débat avec eux, retransmis par Télé Maria –émission ponctuée de prières : assez déroutant, mais ce que l’on dit, ensuite, gagne en retenue, en solennité, en poids…

 

            Puis visite nocturne de la vieille ville, avec EB et PL : une ville de la lisière germano-slave, passé tantôt aux uns, tantôt aux autres, mais préservée ; remarquable Vistule, extraordinairement large, qui avance puissamment ses bouillons gris comme une tranquille couleuvre ses anneaux. Un collègue Tchèque arrive de Prague et se joint à nous. Long repas avec quelques dirigeants de radio Maria, heureuse conversation sur l’Europe. Puis nouvelle émission, assez longue aussi, en studio cette fois. Impression d’un solide môle de résistance, y compris parmi la population qui nous pose des questions venues de plusieurs autres villes de Pologne. Comment n’avons nous pas su faire cela : une télévision souverainiste, une université d’esprit national ? Retour à Varsovie en autobus dans la nuit -et surtout un brouillard extraordinairement épais . Mauvais hôtel, courte nuit, aéroport du matin, désenchantement croissant des voyages….

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :