1 au 15 septembre 2008

 

Dimanche 14 septembre, Mirebeau

 

 

Après avoir relu ce qui précède, je pense aux lettres qui me sont parvenues à la suite du « bloc-notes » où je reconnaissais la justesse d'un reproche fort argumenté d'un souverainiste mécontent de trop lier dans L'Indépendance la foi chrétienne au combat pour la souveraineté. Or je crois que les deux parties ont raison ? D'une part on peut fonder la revendication de souveraineté nationale et populaire sur l'idée d'un Bien commun, un Bien de la Cité qui se suffit à soi seul - en quoi le journal qui se veut « ouvert aux souverainistes de tous les horizons »  n'a pas à afficher à tout bout de champ sa chrétienté, dont acte, une fois pour toutes. Mais je crois non moins que la souveraineté, clef de voûte de toute politique en France (qui fut à l'occasion opposée au pape) se fonde sur une idée du Bien qui a tout à voir avec la foi -  Toute foi en ce qu'elle refuse le laissez-faire, le fait de puissance et le nihilisme majoritaire.

 

  Samedi 13 septembre, Mirebeau

 

260 000 personnes aux Invalides tout à l'heure. Bien entendu France Inter s'en tient à 200 000, mêle l'évènement au rappel du Ramadan et présente le voyage avec toutes les précautions narquoises de l'athéisme officiel - car on sait combien la distinction du spirituel et du temporel, dégénérée en séparation plus ou moins agressive de l'Eglise et de l'Etat a finalement fait place à une sorte d'athéisme d'Etat qui ruisselle sur tous les médias publics.

  

Vendredi 12 septembre, Paris

 

Benoit XVI à Paris : l’ampleur que prend cet événement signale une nette évolution des esprits.

On a pu voir la marque de la Providence dans l'élection de Jean-Paul II en 1978 ? S'agissant de celle de Benoit XVI en 2005, il faudrait parler de miracle ; car l’un comme l’autre sont exactement ce que l'Eglise pouvait espérer de mieux, tandis que presque tout en elle semblait vaciller. C'était vrai pour l'Eglise de France plus que pour toute autre : l'Eglise italienne et, plus encore me semble-t-il l'Eglise espagnole ont déjà donné des signes de raidissement contre la pensée et la morale officielle - si l'on peut parler de morale libertaire- notamment sur l'avortement, mais aussi l'euthanasie et même les dogmes européistes, ce dont on eut une idée lorsque, en 2005, lors du referendum sur la Constitution européenne, l'épiscopat espagnol appela à l'abstention. De ce point de vue, on peut apercevoir une érosion de ce qui fut longtemps l'un des fondements de l'Europe supranationale, dite “vaticane”…

L’intelligence de Benoît XVI est de s'attaquer à deux piliers de la foi qui ont à voir l'un et l'autre avec ce qu'il a nommé tout à l'heure aux Bernardins « les racines grecques » : le logos d'abord, c'est-à-dire la liaison très exactement dialectique entre la raison et la foi – ce n’est pas seulement une manière de lier entre elles les diverses sources de la pensée européenne, mais aussi d'insister sur ce qui fait la singularité et, de mon point de vue, la supériorité du christianisme sur toute autre religion, éclatante dans la phrase qu'il eut tout à l'heure, et que j’ai dû mal noter au vol (le personnage est rayonnant mais comme sa voix est hésitante, timide, quelquefois indistincte) : « Dieu travaille encore, il travaille dans l'Histoire humaine, par la recherche et le travail des hommes » ; c'était déjà l’une des leçons délivrées à Ratisbonne qui déclencha l'ire du monde musulman. Mais Benoit ose aussi restaurer l'autre pilier de la foi si gravement lézardé depuis un demi-siècle, la beauté. Si Vatican II, et surtout ses interprétations quelques fois délirantes des années 70 et 80 ont mis à mal la religion catholique, c'est aussi et peut-être surtout, dans le secret des émotions, en ce qu'il dilapida le patrimoine esthétique, jugé révolu : splendeur architecturale des lieux de cultes, musique sacrée, mystère flottant des prières et des psalmodies en latin, génuflexions et gestes d'abandon des fidèles… Tranchant avec l'atmosphère radicalement différente de l'univers laïc, la beauté n'est pas seulement un soutien de la foi, elle lui est liée en son cœur même, en cette unité platonicienne du Vrai, du Bon et du Beau qui prive chacune de ces Idées pures de sa place dans les cœurs sans la résonance intime des deux autres. Racines grecques une fois de plus. En se coupant depuis Vatican II de son univers esthétique, de la mise en spectacle de la Beauté de la foi, de la Beauté du rite, et de la Beauté du culte, l'Eglise s'était mise en grand danger.

J'écris : “s'était mise” car je crois ce danger écarté. La seule restauration de l'hostie donnée dans la bouche, c'est-à-dire donnée au fidèle sans son intervention, par le si grand geste d'une bouche ouverte après une génuflexion devant l'officiant, ce grand retour au mode ancien de la communion a renversé d'un coup les errements de deux générations - deux au moins.

 

  Mercredi 10 septembre, Bruxelles

 

Encore une bataille perdue : un mois après l’attaque de l’Ossètie du nord par les armées géorgiennes, tout le monde ne parle encore que de « Tbillisi », nom imprononçable en français qui s’est substitué au bon vieux Tiflis. Or, derrière le nom de Tiflis, il y avait, pour moi du moins, de nombreuses images : un roman de Simenon s’y déroulait ; ma grand’mère a plusieurs fois mentionné ce nom dans ses récits d’enfance, et de même des biographes de Joseph Staline. Bref, derrière Tiflis, il y avait des images, des évocations, une petite épaisseur de la mémoire ;  derrière Tbillisi, plus rien. Voila tout ce que l’on perd, quand on perd un seul mot…

 

 

 

Mardi 9 septembre, Bruxelles

 

Il y a de quoi s'impatienter, du moins un peu, devant les torrents de bêtise qui se déversent de tous côtés sur Philippe de Villiers - signe qu'il gêne bien des grandeurs d'établissement ; mais, apparemment, il en gêne aussi de petites, et même de minuscules. Après avoir insinué qu’il était une sorte de Le Pen en version allégée, quelques trublions insinuent maintenant qu'il est une sorte de Sarkozy contrefait - donnant ainsi à entendre qu'il est prêt à toutes les compromissions avec la majorité. Faut-il rappeler que Philippe de Villiers, entré en guerre contre la supranationalité européenne depuis Maestricht est bien le seul qui, depuis 16 ans, ne soit jamais tombé de son cheval ? En 1994, en 1999 avec Charles Pasqua, en 2004, en 2005 lors du référendum, et cette fois à l'échelle européenne avec le sémillant Declan Ganley, il a toujours été et reste le porte-parole reconnu d'un certain refus de la supranationalité ; il fut l’un des premiers hommes politiques à écrire quelques ouvrages prémonitoires sur les véritables ressorts de l’européisme (cf son « 51ème étoile du drapeau américain » si bienvenu), le seul à s'opposer à la privatisation de la Banque de France (il y en avait bien peu à gauche), comme à toutes sortes de turpitudes européistes imposées par MM. Chirac et Jospin, et l’UMPF ; ces derniers mois, les députés et sénateurs MPF se sont opposé sans faillir, et malgré d'incroyables pressions, à la ratification de Lisbonne puis à la réforme de la Constitution de 1958 - sur ce dernier sujet, il s'en fallut de peu que les 6 parlementaires MPF mettent en échec le gouvernement Fillon. Après tant de constance, je ne vois pas ce que les divers Dupont et Durand, qui eurent eux-mêmes bien des sinuosités, ont à aligner en guise de faits d’armes. S’ils savaient voir un peu large, ils prendraient leur place dans la brigade, désormais internationale, qui peut encore faire pièce à la plus colossale entreprise de dissolution de l’Etat et de la Nation qu’on vit jamais, et qui doit trouver face à elle, unis et fraternels, tous les « Bons Français ».

 

 

Samedi 6 septembre, Mirebeau

 

Pierre Lelouche, député UMP est ce matin reçu tout une heure sur France Culture (émission « Le rendez-vous des politiques ») ; je l’entend dire ceci, que, me trouvant par chance sur ma machine, je recopie aussitôt : « Croire que le Président de la République ne devrait pas être le chef du parti majoritaire, c’est complètement bidon ; dans les faits, il peut être rien d’autre (sic : je retranscris tel quel) ; le président, poursuit Lelouche, aurait dû rester chef de l’UMP, comme Mme Merkel est patrone de la CDU et Tony Blair des Travaillistes (sic ! sic !) ». Ce mot-à-mot révélateur ne signifie pas seulement que le commun des responsables français s’exprime comme on parle au bar, même quand il est invité sur « France Culture » ; il signifie aussi qu’il n’imagine rien de ce peut être le Bien Commun, rien en dehors des logiques partisanes, en somme qu’il ignore ce que peut vouloir dire encore l’impartialité de l’Etat ; que, tout simplement, il n’a rien compris à la logique de la Vème République. Ce qui n’empêche pas tout ces petits messieurs de célébrer son anniversaire dans quelques semaines - à moins que cet anniversaire ne passe à l’as, et que , sous la présidence de M. Sarkozy, on ne célèbre plus que la grande révolution soixanthuitarde, dont il porte tant la marque en effet, bien davantage que de l’esprit de la Vème république, qu’il préside pourtant. De ce décalage, non plus seulement de l’esprit et de la pratique, mais du droit même et de la manière de gouverner, on ne sortira plus.

  
 

Vendredi 5 septembre

 

La laïcité qui fut longtemps le fondement de la République, comment pourrait-elle tenir sous la poussée d'une religion concurrente et si arrogante que ses dévots ordinaires parviennent même à obtenir le report d'un procès pour cause de  Ramadan – c’est du moins ce que vient de faire une Cour de Rennes à la demande de prévenus qui s'estimaient en trop grand état de faiblesse pour comparaitre ! La laïcité qui n’a nulle religion pour partenaire, ne marche que sur une seule jambe, et tombe. Elle est un partenariat, une tension, ou rien.

 

 

Mercredi 3 septembre, Bruxelles

 

Avant les votes, intéressante conversation au bar avec quelques collègues. L'un d'eux se lance dans un curieux reproche : "Vous invoquez sans cesse la démocratie, mais ce que vous voulez défendre ce sont tout simplement les prérogatives de l'Etat français, et pour cela empêcher l'Union européenne d'avancer". La réponse d'un fonctionnaire a fusé immédiatement, impeccable : "Les souverainistes savent très bien que la démocratie ne permet pas à l'Union européenne d'avancer. Une U.E. démocratique, c'est impossible. Autant installer un vampire au soleil!" Rien à dire, seulement finir une tasse de thé, avec un doigt de petit lait...

 

 


Lundi 1er septembre, Bruxelles

 

Tiendrai-je ma résolution de tirer davantage mon journal vers la politique ? Il le faudrait, me dit Bertrand Mathière, pour pouvoir le mettre en ligne, non seulement sur mon site, mais sur celui du RIF, où il entreprend, l’excellent jeune homme, de créer un blog, que nous avons décidé, au cours d’un dîner au prieuré, d’appeler « le Quotidien de Babylone ». « Nulla dies sine linea…. » Pas un jour sans une ligne !

 

Nous voici réunis à Bruxelles donc, et non à Strasbourg comme nous l'aurions dû, à cause d'une avarie de plafond dans l'hémicycle strasbourgeois. Quelquefois, les coïncidences parlent à haute voix. Début août, quelques jours après la démission du gouvernement Leterme qui relançait la crise gouvernementale belge, s’effondrait à Strasbourg le plafond de l’hémicycle du parlement européen. Le lien ? Nulle machination sinistre, bien entendu, mais une question récurrente : Bruxelles doit-elle devenir «  la capitale de l'Europe », plus que de l'Etat belge ?  Tranché par le traité de Rome en faveur de la pluralité (Strasbourg, Luxembourg, Bruxelles, trois villes situées sur le vieux limes romain séparant les mondes germanique et romain), le débat du siège européen fut progressivement rouvert en faveur d’un lieu unique qui serait à Bruxelles, conformément au choix qu’avait clairement exprimé Jean Monnet. Monnet utilisa même l'expression de "district européen " ce qui signifiait assez que le projet qu'il avait en tête et pour lequel on l'encense tant aujourd’hui supposait que les organes moteurs de ce qui s’appelait alors la "Communauté européenne", disposassent d'un territoire propre - un peu à la manière du statut hybride du Vatican, a la fois siège d'un magistère supranational, et d'un Etat doté d'une personnalité juridique propre, d’une souveraineté et, pour son chef, du statut chef d'Etat. Tel est, très au loin, l'un des aspects du débat Strasbourg-Bruxelles, et d'une affaire de plafond dont on ne sait pas encore tout –et dont on ne sait d’ailleurs pas grand chose pour l’instant. Comme l’écrit mon excellent collègue Bernard Poignant, président du groupe socialiste au Parlement européen, dans sa lettre mensuelle de septembre : " l'Union européenne n'est ni un Etat ni une nation; elle unit des peuples, elle n'est pas un peuple; il n'est pas étonnant que ses institutions soient réparties ». Nous sommes d’accord. Hélas, les fanatiques du grand Etat central veulent un siège unique, et la souveraineté internationale.  Le statut de Bruxelles, que posent si crument, à quelques jours d’intervalle, la crise belge et l’affaire du plafond, est un débat à peine ouvert, et dont on n’a pas fini de parler, tant sont graves ses enjeux…

 

Pour l’heure, la "Présidence française" paraît bien amorphe. Nous avons envoyé hier un communiqué que l'AFP n'a pas repris et que je retranscris ici : « La décision qu'a prise la présidence du Parlement européen de transférer la session plénière à Bruxelles à la suite de l'effondrement du plafond de l'hémicycle de Strasbourg ne nous paraît pas aller de soi. Nous aimerions que le président du Parlement européen, M. Pöttering veuille bien nous informer d'abord sur ce que l'on peut savoir des causes de cet accident, et d'autre part des considérations qui ont amené à choisir Bruxelles, alors qu'il existe un autre hémicycle à Strasbourg, celui du Conseil de l'Europe dont on ne semble pas s'être demandé s'il était possible de l'équiper pour nous accueillir lors des prochaines sessions. Ne pas nous réunir à Strasbourg nous expose à contrevenir au traité d'Amsterdam qui fixe la règle des douze sessions plénières à Strasbourg chaque année. Quelles solutions la présidence du Parlement européen et la Présidence française envisagent- elles pour respecter le traité ? Nous pourrions, par exemple, déterminer  un nouveau calendrier de plénières et remplacer les 'sessions additionnelles' bruxelloises d'octobre et décembre (dont la légitimité est d'ailleurs douteuse) par une session plénière à Strasbourg. Dans cet ordre d'idées, nous proposons, la suppression du troisième siège du Parlement, celui de Luxembourg. »

 

 

 

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