Nous jouerons une pièce de Racine

Publié le par Quotidien de Babylone

Bloc-notes de Paul-Marie Coûteaux

Vendredi 20 mars. - Paris.
Amusant coup de téléphone, tout à l’heure, d’un fonctionnaire de notre groupe : ce très attentionné personnage me rappelle que nous siègeons la semaine prochaine à Strasbourg et se demande si j’ai l’intention de m’asseoir à ma place habituelle, c’est-à-dire à côté de Philippe de Villiers, dont le fauteuil jouxte le mien dans l’hémicycle. Ne serait-il pas préférable pour moi de sièger parmi un autre sous-groupe, celui des Anglais par exemple, ou des Suédois « avec qui vous vous entendez si bien ? ». Je réponds que, malgré le net différent que nous avons en ce moment, je garde pour M. de Villiers une admiration intacte et que je souhaite siéger à ses cotés  - à moins, bien sûr, qu’il n’y tienne pas lui-même. « Bien, nous allons voir cela » me répond l’aimable émissaire, tout pénétré de sa mission, qu’il n’a pas l’air de trouver si simple.

 

            On verra bien. Raccrochant, je pense de nouveau à ce personnage, au créateur génial du Puy du Fou, au principal homme politique qui a compris en profondeur, je crois, que la souveraineté était la condition de tout, au combattant qui, bien seul en cela, n’est jamais tombé de cheval depuis Maestricht – du moins jusqu’à la si malheureuse affaire Libertas, qui devait bien arriver un jour ou l’autre puisqu’ils tombent tous… reste le panache : y-a-t-il aujourd’hui homme politique français qui ait une allure aussi chevaleresque, tant d’imagination et de créativité ? Je n’en vois pas. Faut-il que sa lassitude soit grande pour qu’il s’aventure dans une alliance si contraire à tout ce à quoi il croit – si contraire, idéologiquement, spirituellement (et même esthétiquement), à tout ce qu’il incarne !... J’ai souvent dit de lui qu’il était avant tout un artiste ; me rendais-je compte de ce que cela signifiait ? Une sensibilité plus vive que celle de la moyenne des hommes, finalement une fragilité plus grande, fait qu’on l’atteind plus facilement que la majorité des hommes politiques – ceux-là ont d’ailleurs le cuir trop épais pour qu’ils soient vraiment honnêtes. La même sensibilité lui inspire aussi, il faut dire, des embardées stratégiques un peu brutales : au positionnement à mon avis excellent de la campagne du Non (Bolkenstein est venu de nous, je l’ai vu comprendre en quelques minutes le parti qu’il s’en pouvait tirer), a succédé quelques mois après la victoire du Non, un tout autre positionnement, sur divers thèmes de société propres à capter un Front national dont il croyait le président incapable d’être de nouveau candidat ; à présent, en voici un autre encore, propre à retrouver un électorat modéré sur le thème : « Non à Bruxelles, Oui à l’Europe », pour ne rien dire des thèmes de Libertas sur la nécessité de rendre l’UE démocratique, nouveau discours qui est vraiment très loin de celui que nous avons développé depuis Maestricht, renouant avec celui, très européiste qu’il tenait il y a vingt ans, du temps qu’il était à l’UDF...

 

Ces embardées solitaires (il n’en parle, au vrai, à personne, et n’écoute personne) supposent qu’on le suivre dans le brouillard. Oui, mais quiconque a un souci de cohérence, et de constance intellectuelle se trouve tôt ou tard obligé de le laisser poursuivre seul ses zigzags… Ai-je écrit « L’Europe vers la Guerre », ai-je dit, écrit, et fait écrire ce qui commence à devenir, cahin caha, un corps de pensée organisé autour du principe de liberté des nations pour m’accomoder à présent d’une Union européenne qu’il suffirait de réformer pour qu’elle devienne acceptable ? Pour épouser tour à tour les embardées du MPF, ou plutôt de son chef, il ne me faudrait plus avoir grand scrupule intellectuel.
Nous jouerons donc jusqu’au bout une pièce de Racine : chaque acteur précipite le drame à proportion qu’il est et reste lui-même… Cela ne nous empêche pas de siéger sur le même banc !

Publié dans Réflexions

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A
Alors qu'il eût été si facile de "casser" P2V, vous lui témoignez encore une certaine affection, et une estime quasi-intacte. Quelle classe ! J'espère en tous les cas que vous irez au bout de votre démarche et donc de votre campagne : ma voix, retirée à Villiers, pourra alors se porter sur vous.
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