Embruns

Publié le par Quotidien de Babylone

Bloc-notes de Paul-Marie Coûteaux.

Lundi 3 novembre ; Plouegat-Meyssan.
- Hier, deux promenades entrecoupées d’un plantureux repas de fruits de mer : la première, coté Finistère, nous conduit, vers midi, après le marché de Plestin, sur les hauteurs de Loquirec, le long de la mer (belles villas en pierres de granit, qui, comme toujours, font rêver d’une autre vie…). La seconde, en fin d‘après-midi, nous ramène plus à l’Est, « la côte de granit rose » ; vers cinq heures du soir, halte mémorable sur la plage de Trégastel, tout à coup éclairée par un tout petit soleil qui, entre les blocs de granit rose, d’une douceur extraordinaire, fait luire la mer, au large et sur les récifs, comme luit plus encore son bleu de jade, dans les anses tranquilles à l’abri des grosses pierres orangées et rondes. Je pense à Nicolas de Staël. Contraste, il soufle sur cette harmonie un vent violent qui épuise nos pas. Nous poussons jusqu’à la villa qui, sur son promontoire, exposée à tous les vents et tous les ressacs, s’avance seule vers la mer : elle est habitée ; images d’une vie entièrement romanesque : une robuste maison prise dans le vent et la mer.

Arrivons à Perros-Guirec peu après six heures, tandis que la lumière chute brutalement. Du coup, rue désertes ; la ville parait magnifique ; nous tentons de la visiter dans le noir . Après avoir fait le tour, en la touchant, d’une petite église de granit rose et gris ; nous décidons de rentrer. Sur la route déserte, extraordinaire densité de la nuit : même depuis la terre, il semble qu’il n’y ait point d’autres feux que les phares –lesquels, nous dit-on, sont d’ailleurs en déshérence… (E., d’ailleurs, a l’idée d’aller passer une semaine dans un phare.)

 E., qui n’est pas breton (et a perdu pour cela son emploi…) pose sur les gens du cru un regard qui ne l’est pas moins ; il iniste sur l’opposition entre deux Bretagnes, celle de la Côte et celle de l’intérieur  -opposition ancienne, certes, mais elle semble croître et embellir. Ainsi, dans le Finistère, le festival des Vieilles Charrues de Carhaix fut lancé comme une réplique au festival des Vieux gréments de Brest -riposte aussitôt soutenue par les paysans de l’intérieur contre « ceux de la côte » qui, avec la complicité des touristes, accaparrent à leurs yeux l’image de la Bretagne –et les subventions avec elle. Il y a deux mondes, l’intérieur et le côtier, qui hument deux airs fort différents –le premier est réputé chargé d’odeurs fortes, accrues par la pollution, alors que la seconde sent la fraîcheur et le grand large ; complexes nombreux sur ce thème. Voici donc que s’accentue la vielle opposition, à laquelle s’ajoute un net contraste entre la côte du Nord et du Finistère, et celle du Sud –du Morbihan, et, plus ou moins, de la Loire Atlantique. Confirmation de ce que je vois par ailleurs dans mes pérégrinations belges : plus une entité politique est petite, plus elle se divise. Ce n’est d’ailleurs un paradoxe que pour qui ne refléchit pas : si la politique est bien la participation au monde en même temps qu’un discours d’appartenance, il est normal celui-ci se survolte à mesure que celle-ci s’étiole… 

18h –retour à Mirebeau, après une mauvaise route sous une pluie fine et sombre, presque noire. Omniprésente désolation des campagnes ;  je vois bien que la civilisation quitte nos rivages –et que déjà nos rivages ne sont plus tout à fait les nôtres… 

Publié dans Réflexions

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